“Je me suis fait arrêter près de l’office des étrangers à Pacheco ce 14 octobre dans le cadre de la manifestation nationale. Nous nous sommes fait nassés vers 12:30. J’étais habillé en noir. A peine ai-je vu la ligne policière se former devant moi que j’ai senti des coups de matraque dans mon dos. Dans la précipitation, je n’ai pas pu identifier si c’était des robocops, je sentais juste des coups se perdre ici et là, de façon désordonnée (à part leur plaisir de se défouler, je ne comprend pas à quoi servaient ces coups, nous étions déjà nassés, ils ne pouvaient pas ne pas le savoir). J’ai senti le gaz lacrymogène me piquer les yeux. Nous étions entre 2 voitures. J’ai entendu une personne d’un certain âge dire aux policiers : “Monsieur, il y a des enfants !”
J’ai senti un policier tenter de me tirer en arrière. Je me suis accroché aux gens autour de moi. Ils m’ont relâché une première fois. J’ai entendu l’un d’eux dire : “On les sors un par un”. Me sentant pris au piège, j’ai sauté dans le tunnel et tenté de traverser. Des policiers m’ont rattrapé alors que j’essayais de m’enfuir. Ils ont crié “Arrestation” en me plaquant au sol. Ils m’ont tordu les bras puis m’ont amené (je pense) derrière leur ligne de policiers. Un policier me maintenait au sol puis le deuxième est revenu et ils m’ont emmené dans un parking (le parking pacheco). Là, j’ai vu une file de personnes assises devant moi (on a été une dizaine de personnes en tout car des personnes sont arrivées après moi) jambes tendues mais je ne connais pas le nombre exact. Ils m’ont fait asseoir et un policier a dit à l’autre “Assied-le ici” puis m’a donné un violent coup sur la tempe en ajoutant : “C’est pour lui, sa p’tite gueule de merde”.
Je prend une ligne pour préciser qu’à partir de ce moment-là, tous les policiers vont tenter de décrédibiliser nos plaintes, considérer implicitement ou explicitement qu’on l’a “bien cherché”, qu’on a été violents avec des gens “juste parce qu’ils sont policiers” et qu’on n’a pas à se plaindre, chialeur.euses que nous sommes qui hurlent “comme des salopes” dés qu’on nous rend la monnaie de notre pièce.
Quand on repliait nos jambes, ils nous forçaient à les garder tendues. À un moment, j’ai laissé la personne devant moi s’appuyer légèrement sur ma jambe pour que ce ne soit pas trop inconfortable. C’est un processus de délégitimisation pour nous décourager de porter plainte ou juste de revenir en manifestation. Je ne vais pas me laisser faire mais je réalise qu’il m’est douloureux de raconter tout ça, notamment parce que j’ai encore en tête leur rhétorique humiliante, déshumanisante et leurs ricanements. Durant un bon moment, les policiers vont frapper quiconque dit quelque chose. Je ne voulais rien répondre parce que je savais que quoique je réponde j’allais me prendre un coup.
Je précise que ces policiers n’avaient rien trouvé contre nous, à part le fait de nous avoir trouvé en noir. Nous avons été laissés seuls avec une policière femme (on repassera pour le sexisme policier mais bon c’est gros quand même, les femmes font “garderie”, les hommes retournent au combat). Quand elle était là, elle nous a aussi humiliés plusieurs fois mais elle ne nous donnait pas de coups quand nous parlions ( je me rend compte que j’en suis presque surpris).
Derrière moi, une personne a dit “Je vais tourner de l’oeil, j’ai besoin d’eau”, la policière a répondu “Il fallait y penser avant”. La personne a dit “J’ai besoin d’eau, vraiment”, la policière a répondu qu’elle n’était pas médecin.
Je lui ai alors poliment fait remarquer qu’elle aurait des problèmes s’il arrivait quelque chose de grave à la personne qui demandait de l’eau ce à quoi elle a finalement répondu qu’elle n’avait pas d’eau. Une personne a indiqué qu’elle en avait et la policière est allé en prendre dans son sac. Elle lui a donné de l’eau.
Régulièrement, des policiers revenaient dans le parking chaque fois en cognant très fort la porte. À un moment, un policier est revenu et nous dit : “Vous êtes en judiciaire, vous êtes dans la merde, il y a des gens chez vous qui travaillent pour nous, notre procureur n’a aucune tolérance et vous allez être jugés tout de suite.”
Nous sommes restés en silence, conscients sans doute que la police retiendra tout contre nous. Je suis en mesure d’identifier ce policier. Je sais que c’est illégal mais ce processus de “fake news” met en doute dans l’esprit, on se demande “est-ce qu’ils vont suivre la loi”, “ est-ce qu’ils la connaissent même ?”. Parfois, ils étaient plusieurs à passer par le parking. À un moment, j’ai entendu l’un des policiers appeler l’autre “Françis”, Le deuxième a répondu : “Ici, c’est René”. Ils se donnent des faux noms pour ne pas qu’on les retrouve, parce qu’ils savent bien que c’est illégal de nous frapper ainsi. Je peux aussi identifier ce policier-là.
Les ambulanciers sont arrivés et ont regardé ce que nous avions. Plusieurs personnes ont indiqué ressentir des malaises, des baisses de tensions etc. (au moins l’une d’entre elles avait le visage complètement en sang). Les ambulances ont pris énormément de temps à passer. La policière qui nous gardait depuis le début a glissé à l’un des ambulanciers : “Je ne suis pas médecin mais comme par hasard, tout le monde a mal quand vous arrivez”.
Par la suite, j’ai appris que non seulement près de LA MOITIÉ des personnes retenues étaient hospitalisées mais en plus, les ambulanciers n’avaient même pas emmené la personne qui était derrière moi alors qu’elle avait la main cassée. Plus tard, l’une des personnes qui étaient devant moi s’est pris une gifle pour avoir contesté une de leurs décisions. Derrière moi, deux personnes sont arrivées dont l’une avait le visage transformé par les bosses. Comme il leur répondait des choses comme “et quoi, vous allez encore me frapper ?” les policiers l’ont frappé une nouvelle fois. Cela s’est encore produit lorsqu’ils l’ont fouillé parce qu’il ne levait pas les bras ou pas assez vite…
La deuxième personne a été amenée, je dirais à peu près au même moment et elle hurlait aussi dès qu’elle se prenait des coups. Là aussi, comme nous lorsque nous nous étions fait arrêter un peu plus tôt, elle se faisait frapper dès qu’elle causait avant qu’il ne se calme (un peu). Lorsque l’une des personnes qui avait le visage en sang est partie (sans doute pour aller vers l’ambulance, la policière a déclaré : “Toi, t’as crié comme une salope tout à l’heure, t’as jeté des pétard sur un enfant, on dit que la police est violente mais j’ai pas vu ça aujourd’hui”. La fille arrêtée a dit : “T’as vu les gifles aussi ?” et elle a répondu : “non”.
Nous avons été finalement relâchés une heure et demie plus tard. J’ai donné ma carte d’identité et mon nom. J’ai trouvé des personnes inconnues à la sortie qui m’ont indiqué que la police avait frappé tout le monde. J’ai vu l’un des policiers tortionnaires (qui demandait qu’on ne l’appelle pas par son nom) et lui ai dit “C’est quoi votre matricule ?”, il m’a répondu “C’est pas de vous que je me suis occupé, je n’ai pas à vous le donner”.
Je pense quand même avoir vu un peu de peur dans ses yeux, je ne me fais pas d’illusions sur le comité P mais j’aimerais déjà leur faire un peu peur (ils ne viennent quand même pas sans matricule pour rien je me dis). Le nombre de plaintes (pourtant déjà conséquent) est diminué par la lassitude de savoir qu’il y a très peu de chances qu’elles aboutissent. N’hésitez pas à me recontacter si vous désirez que quelqu’un témoigne (dans le cas d’une plainte collective par exemple), à voir dans quelles conditions bien sûr.”