Extraits choisis des conclusions du « COC » :
93. À travers le présent avis d’initiative, l’Organe de contrôle tente de répondre en fonction de la jurisprudence nationale et internationale (limitée) à la question de savoir si le fonctionnaire de police peut être filmé ou photographié de manière licite pendant une intervention dans un lieu public et, dans l’affirmative, si les images ou photos peuvent être diffusées, ainsi qu’à la question de savoir quelle attitude les fonctionnaires de police ou services de police concernés pourraient ou devraient adopter. La complexité des notions de « vie privée » et de « données à caractère personnel », d’une part, et des finalités journalistiques en tant qu’aspect de la liberté d’expression, d’autre part, ne simplifie pas la réponse à cette question centrale.
94. Un rapide tour d’horizon de la situation dans quelques autres pays européens nous apprend que le fait de filmer des personnes se trouvant dans un lieu public est en soi autorisé. La thèse qui est posée est que toute personne qui se trouve dans un lieu public doit accepter l’éventualité qu’elle puisse être filmée ou photographiée. Pour ce qui est de filmer la police, la justification de l’admissibilité du fait de filmer ou de photographier une intervention policière semble reposer sur la nécessité de disposer d’un contrôle social sur l’instrumentalisation du monopole de la contrainte et de la violence
dont disposent les autorités par le truchement de la police. À cet égard, le fonctionnaire de police, du fait qu’il sert l’intérêt public, est plutôt considéré comme une personne publique qui doit donc tolérer le contrôle exercé par la personne qui filme ou photographie l’intervention policière. Dans les pays analysés [Pays-Bas, France, Danemark, Allemagne, Espagne, NDLR], ce contrôle semble se limiter en l’occurrence au fait de filmer ou de photographier le fonctionnaire de police pendant l’exercice de la mission policière. Par contre, cela ne signifie pas que les images ou photos puissent être diffusées. La jurisprudence belge et européenne ne répond pas d’emblée à cette question. […]100. Bien qu’il n’existe pas de disposition interdisant expressis verbis de filmer des agents de police pendant l’exercice de leur mission policière, le fait de filmer illicitement le fonctionnaire de police peut constituer une infraction au RGPD et à la LPD et donc être sanctionné sur le plan pénal comme le prévoit l’article 222 de la LPD. Le fait qu’il n’est « pas interdit » de filmer des personnes (en l’occurrence des fonctionnaires de police) ne signifie pas que ce soit automatiquement autorisé.
101. La qualification de rébellion ne semble toutefois pas s’appliquer à l’utilisation d’un smartphone, d’un appareil photo ou d’une caméra, et encore moins au simple fait de filmer le fonctionnaire de police. Il n’est question de harcèlement que lorsque la personne qui filme a l’intention d’affecter gravement la tranquillité du fonctionnaire de police et est donc susceptible de porter atteinte à sa vie privée. Cette clause pénale semble donc plutôt s’appliquer lorsque les images du fonctionnaire de police sont diffusées avec l’intention d’offenser le fonctionnaire de police ou de lui nuire.
102. Si le fonctionnaire de police est filmé dans des circonstances qui font que cet acte est illicite, les images ou photos peuvent être saisies en vertu de l’article 35 du Code d’instruction criminelle, lu conjointement avec l’article 39 bis du même code, pour être utilisées pour prouver l’infraction. L’Organe de contrôle insiste toutefois sur l’impact profond sur la vie privée d’une saisie, et a fortiori de la lecture du support numérique. Pour cette raison, l’Organe de contrôle propose une application graduelle de cet acte d’information (invasif) et recommande de faire intervenir le magistrat compétent.
103. […] Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire de police jouit en tout état de cause de la protection de ses données à caractère personnel, même si ce droit doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux en présence lors de l’intervention policière.
104. La jurisprudence abordée plus haut, le législateur européen et le législateur national s’accordent en tout cas sur le fait que les droits fondamentaux pertinents ne sont pas absolus et doivent être mis en balance sans que l’un ne pèse ab initio plus lourd que l’autre. Cette évaluation peut toutefois être établie par le législateur et/ou laissée à l’appréciation du juge.
Dans l’intérêt de la sécurité juridique, l’Organe de contrôle est d’avis qu’une initiative législative s’impose pour répondre au moins aux questions suivantes :
Est-il interdit ou permis de filmer ou de photographier des fonctionnaires de police dans le domaine public ?
Est-il en principe permis ou interdit de filmer ou de photographier des fonctionnaires de police pendant une intervention ?
En supposant qu’il soit permis de filmer des fonctionnaires de police (pendant uneintervention), existe-t-il des circonstances dans lesquelles la police peut obliger la personne à arrêter de filmer, et si oui, lesquelles ?
En supposant qu’il soit permis de filmer des fonctionnaires de police (pendant une intervention), la diffusion des images ou photos est-elle licite et, si oui, dans quels cas et dans quelles circonstances ?
En supposant qu’il ne soit pas permis de filmer des fonctionnaires de police (pendant une intervention), à quels moyens faut-il recourir et quelle procédure faut-il suivre pour recueillir des preuves et les conserver ?