Dans un avis publié en février, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, une institution française de promotion et de protection des droits de l’Homme créée en 1947 et assimilée à une Autorité administrative indépendante, formule 23 recommandations, dont notre gouvernement serait bien avisé de s’inspirer, si l’on en juge par le climat actuel de défiance envers les forces de l’ordre. Qu’on en juge :
Recommandation n° 1 :
Réorienter les politiques publiques de sécurité, en remettant en cause l’évaluation chiffrée de la performance policière et en redéfinissant les missions attribuées par les acteurs politiques à la police, dès lors qu’elles influencent dans une grande mesure le répertoire d’actions mobilisé sur le terrain et, de ce fait, les relations entretenues avec la population.
Recommandation n° 2 :
Réécrire l’article du code de déontologie de la police et de la gendarmerie relatif au cadre général de leur action, en accordant une place privilégiée à la « protection des personnes et des biens » et en rappelant que la police a pour raison d’être la garantie des libertés et des droits fondamentaux.
[NDLR : Dans le Royaume, le Code de déontologie des services de police édicte dans son article 3 un ensemble de principes et de règles de comportement dont l’application sur le terrain semble loin dêtre systématique… Quid d’un petit rappel régulier de cet article 3 aux forces de l’ordre ?]
Recommandation n° 3 :
Rétablir une authentique police de proximité, adossée à une doctrine d’intervention fondée sur la construction d’une relation privilégiée avec la population, se substituant à la réponse uniquement réactive et punitive trop souvent constatée à l’heure actuelle face aux incivilités.
Recommandation n° 4 :
Évaluer régulièrement la qualité de la relation entre population et habitants, au sein des commissariats de police et des brigades de gendarmerie, à partir d’indicateurs précis et participatifs évaluant la satisfaction des usagers, qui doivent être tout autant pris en compte en termes de carrière, d’avancement et d’évaluation de l’activité policière que les indicateurs traditionnels (taux d’élucidation d’affaires, taux de présence policière sur la voie publique, etc.) ; les rendre pleinement accessibles à toutes les personnes en situation de handicap, ainsi que les démarches dématérialisées ; veiller à une répartition égale sur tout le territoire des commissariats et gendarmeries, en mettant en place, au besoin, des permanences régulières en mairie quand les locaux sont trop éloignés.
Recommandation n° 5 :
Étendre le dispositif d’officier de liaison LGBT de la préfecture de police de Paris à d’autres agglomérations et aux victimes de handiphobie, de racisme ou de xénophobie.
Recommandation n° 6 :
Sur les contrôles d’identité :
- Remettre aux personnes contrôlées un récépissé papier nominatif, précisant l’heure, le lieu et les motifs du contrôle. Afin d’éviter la constitution d’un fichier nominatif, le carnet à souche du policier ou gendarme devra reproduire toutes les indications du récépissé, sauf l’identité de la personne contrôlée ;
- Mettre en place un dispositif de suivi des contrôles, pour permettre aux hiérarchies de prendre connaissance des conditions de leur mise en œuvre (quels agents ? pour quels motifs ?) ;
- Engager une réflexion de fond sur l’encadrement légal et la pratique des contrôles d’identité afin de lutter contre leur banalisation, notamment en précisant les motifs légaux pouvant justifier un contrôle.
[NDLR : ne devrait-on pas suivre cette recommandation en Belgique, au vu de la multiplication des contrôles d’identité à répétition sur les jeunes dans les quartiers, les contrôles pratiqués à titre d’intidimidation dans les manifestations, et des exactions de la brigade UNEUS…]
Recommandation n° 7 :
Engager une réflexion sur le pouvoir de verbalisation exercé par les policiers et les gendarmes dans certains quartiers et à l’égard de certaines catégories de personnes.
Recommandation n° 8 :
Pour les modalités du maintien de l’ordre en manifestation :
- Privilégier les stratégies de désescalade dans l’encadrement des manifestations ;
- Instaurer un dialogue effectif entre forces de l’ordre et manifestants ;
- Le cas échéant, s’assurer de l’intelligibilité des sommations ;
- Mobiliser exclusivement des unités spécialisées dans le maintien de l’ordre ;
- Interdire certaines pratiques, telles que les nasses, les « contrôles délocalisés », et harmoniser les techniques d’intervention entre police et gendarmerie en favorisant les moins « vulnérantes » ;
- Cesser les « gardes à vue préventives » en amont des manifestations.
Recommandation n° 9 :
Inclure dans la formation initiale des personnels de police et de gendarmerie des enseignements axés sur la pratique :
- de sciences humaines et sociales afin d’encourager une réflexion des policiers sur la nature de leurs missions ;
- en communication (respect de l’autre, techniques de médiation, de gestion des tensions, de gestion du stress d’autrui…) ;
- sur le fonctionnement de la justice (alternatives à la détention, principes d’application et de personnalisation des peines dans un objectif de réinsertion et de prévention de la récidive) ;
- d’éthique, qui favoriserait un retour critique des agents sur leur pratique.
Recommandation n° 11 :
Développer et garantir la formation continue des personnels de police et de gendarmerie, tant pour maintenir leur aptitude à l’utilisation des armes et des gestes techniques que pour les sensibiliser aux difficultés éprouvées par les victimes et certaines catégories de la population dans leurs rapports avec la police.
Recommandation n° 12 :
Renforcer l’encadrement des jeunes recrues affectées dans des quartiers sensibles.
Recommandation n° 14 :
Mettre en place une plateforme unique de signalements des manquements à la déontologie, commune au DDD, à l’IGPN et l’IGGN ; Informer les victimes ou témoins des suites de leur signalement et de l’état d’avancement de la procédure.
[NDLR : En Belgique, une telle plateforme est encore à créer, qui éviterait de choisir entre l’AIG, le Comité P, Unia, le commissariat, le Procureur etc.]
Recommandation n° 15 :
Accorder au DDD une compétence privilégiée pour donner suite aux signalements des victimes ou témoins d’atteinte aux personnes – sans préjudice du droit des inspections de s’en saisir parallèlement si elles l’estiment opportun.
[NDLR : Encore faudrait-il créer un tel Défenseur des Droits en Belgique, doté de réelles prérogatives dont le droit d’agir…]
Recommandation n° 16 :
Renforcer les échanges entre le DDD et les services d’inspection de la police et de la gendarmerie, notamment à travers des rencontres régulières, des détachements de personnels, ou des initiatives communes.
Recommandation n° 17 :
Accorder au DDD le pouvoir d’enjoindre à l’autorité compétente d’engager des poursuites disciplinaires ; Soumettre cette autorité à l’obligation de motiver de manière circonstanciée, au terme de la procédure, les refus de prononcer une sanction disciplinaire, le cas échéant contre l’avis du conseil de discipline.
Pour les enquêtes judiciaires relatives à des policiers ou des gendarmes, créer un corps d’inspection ad hoc, composé d’officiers de police judiciaire spécialement dédiés à ces enquêtes, dotés d’un statut particulier, ne relevant pas du ministère de l’Intérieur mais du ministère de la Justice ; À défaut d’un tel service d’enquête, a minima renforcer les garanties d’indépendance et d’impartialité de l’IGPN et de l’IGGN :
- substituer au contrôle des directions générales de la police et de la gendarmerie un rattachement des services d’inspection directement au ministre de l’Intérieur;
- créer un organe collégial ouvert à des personnalités extérieures (notamment des magistrats, des avocats, et des représentants de la société civile), chargé de la supervision des enquêtes, et compétent pour décider des suites à donner aux enquêtes judiciaires (et administratives).
[NDLR : Cette dernière recommandation nous paraît particulièrement pertinente, le Comité P, s’il n’est pas composé uniquement de policiers, a plusieurs fois été pointé du doigt à l’occasion de Rapports Universels Périodiques successifs…]
Recommandation n° 19 :
Accorder le statut de lanceur d’alerte aux policiers et aux gendarmes qui témoignent de dysfonctionnements graves, sans les soumettre à l’exigence de transmettre préalablement le signalement à leur hiérarchie.
[NDLR : Ici encore, des progrès à faire en Belgique. Nombreux sont les témoignages indirects de policier.ère.s dégoûté.e.s du comportement de certain.e.s de leurs collègues, voire de leur hiérarchie, qui n’osent s’engager plus par peur des représailles…]
Recommandation n° 20 :
Tant pour les enquêtes administratives et les sanctions disciplinaires que pour les enquêtes judiciaires et les décisions de justice, prévoir plus de transparence à tous les niveaux de la chaîne (inspections, DDD, ministre, justice), avec des indicateurs harmonisés permettant de suivre statistiquement et individuellement le traitement et l’issue administrative et/ou judiciaire des signalements, à partir d’une publication au moins annuelle dans le respect de l’anonymat des agents.
[NDLR : En Belgique, la principale source de statistiques officielles disponibles sont celles du Comité P, filtrées par la procédure établie et les décisions collégiales auxquelles participent des policiers en détachement. D’où l’existence d’ObsPol, lancé pour réunir des statistiques de terrain à mettre en regard des statistiques officielles]
Recommandation n° 21 :
Revoir les modalités d’affichage du RIO afin de le rendre parfaitement visible des citoyens.
[NDLR : Et si le fameux article 3 du Code de Déontologie des services de police était affiché au-dessus de chaque guichet ?
Recommandation n° 22 :
Équiper les agents de police et de gendarmerie de caméras-piétons fonctionnelles et prévoir un enregistrement systématique des interventions.
Recommandation n° 23 :
Garantir la liberté d’informer à l’égard des interventions des forces de l’ordre, en rappelant notamment à ces derniers qu’ils ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission.