D’après Chaïma El Yahiaoui, chercheuse, le contrôle d’identité a souvent été au cœur d’interactions conflictuelles entre la police et les « jeunes » (**). Les rapports entre ces deux groupes ont souvent défrayé la chronique.
Il n’est pas rare ni anodin que le contrôle d’identité soit retenu et identifié comme étant une des principales sources de tensions entre les deux groupes. Et ce principalement pour deux raisons : d’une part, les jeunes considèrent qu’ils font parfois l’objet d’un ciblage systématique lors de ces contrôles ; d’autre part, ils dénoncent, outre leur fréquence, leur déroulement et les dérives éventuelles qui les accompagnent.
Une police qui cible ?
Pour les personnes interrogées, il n’y a aucun doute : ils représentent la cible privilégiée des contrôles de police. Néanmoins, tous ne sont pas concernés : les contrôles s’effectueraient en fonction du genre, de l’âge, de l’origine, de la religion et même, parfois, du style vestimentaire ou encore du quartier dans lesquels ils ont lieu. Ce sont principalement les caractéristiques personnelles des individus qui joueraient un rôle déterminant dans la décision du policier de procéder ou non à un contrôle. Ces derniers ne se fonderaient donc pas sur le comportement des gens, sur ce qu’ils font, mais bien principalement sur l’apparence des individus, sur ce qu’ils sont. De la sorte, la police cible et pratiquerait une forme de profilage « ethnique ».
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (***) définit le profilage ethnique comme étant « l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la [prétendue] race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale dans des activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation ».
Sur base de quels critères ?
Comme déjà souligné, les critères qui seront utilisés par la police pour procéder au contrôle se rapportent parfois aux caractéristiques intrinsèques de l’individu à savoir l’âge, le genre et/ou l’origine supposée, ou encore le style vestimentaire ou la coupe de cheveux. Ainsi, il semblerait que les jeunes garçons étant perçus comme Arabes et/ou Noirs soient plus souvent confrontés à des interpellations policières. Leur visibilité, en raison de leurs caractéristiques personnelles et de leur présence dans certains espaces publics, constituent, selon eux, un critère qui favorise le contrôle policier. Ce dernier aura lieu de manière quasi systématique lorsqu’ils sont attroupés au sein de leurs quartiers si celui-ci est « défavorisé ». En effet, tous les jeunes perçus comme Arabes et/ou Noirs ne semblent pas logés à la même enseigne, la dimension économique pouvant être un facteur qui entre en ligne de compte (****). Ces dernières années, le critère religieux semble prendre de plus en plus d’ampleur suite aux politiques mises en place dans le cadre de la lutte contre la radicalisation.
Une police qui provoque ?
Le caractère arbitraire du contrôle n’est pas seul aspect dénoncé, mais également son déroulement, sa fréquence, ainsi que des dérives éventuelles. Les personnes interrogées estiment que la police est parfois perçue comme une force qui provoque dans sa manière d’être et d’agir : une police qui tutoie, qui ne salue pas, qui hausse rapidement le ton et qui peut tenir des propos injurieux, voire racistes. Une police qui fouille systématiquement certains jeunes, même quand cela n’est pas nécessaire.
La fouille lors des contrôles d’identité a souvent été appréhendée par les jeunes comme étant une pratique qui n’a pour finalité que leur humiliation. Ils vont dès lors dénoncer à la fois son caractère abusif et inutile, mais également la manière dont celle-ci s’effectue. Cette pratique va aussi être perçue comme un moyen dont le policier dispose pour mettre en évidence sa force symbolique, voire parfois physique. Ce qui peut bien entendu être source de tensions.
Évitement, adaptation et justification
De ce fait, certains jeunes ont développé des stratégies d’évitement afin de ne pas entrer en contact avec la police ou, lorsque celui-ci est inévitable, vont recourir à des stratégies d’adaptation.
Au-delà de ces stratégies d’évitement et d’adaptation, les personnes concernées vont également développer un certain sentiment d’acceptation du phénomène et le justifier. Une majorité d’entre eux interprètent le ciblage policier comme étant le fruit de représentations sociales erronées à leur égard. En d’autres termes, c’est l’image que la police a de ces jeunes qui expliquerait selon eux ce ciblage. Une minorité des jeunes décrit ce ciblage comme le fruit d’une pratique raciste et discriminante.
La police n’aurait pas une image positive de la jeunesse en général, quels que soient l’origine, le genre, le niveau scolaire ou socio-économique du jeune. Ils seraient perçus comme se rebellant plus facilement contre toute forme d’autorité et représentant également la catégorie la plus vulnérable, économiquement et socialement parlant. Ils seraient dès lors plus susceptibles de commettre des infractions.
Mais en sus, les rapports que la police entretient avec les jeunes seraient, selon eux, largement influencés par des représentations sociales qui sont le fruit de préjugés et stéréotypes négatifs : certains jeunes seraient davantage perçus par les policiers comme étant potentiellement délinquants et revêtant les caractéristiques d’un potentiel suspect. Ce sont donc essentiellement les jeunes issus de l’immigration vivant au sein de certains quartiers, dits sensibles, et occupant l’espace public au sein de ces mêmes quartiers qui seront perçus comme tels.
Face à ce profilage, les individus concernés vont pour la plupart dénoncer cette catégorisation. Ils mettent en cause le rôle des médias, qui contribueraient largement à les discréditer en jouant un rôle prépondérant dans la construction de l’image des jeunes issus de l’immigration comme étant potentiellement délinquants, mais aussi dans sa diffusion et sa persistance dans la société. Selon eux, ils ne disposent d’aucun moyen accessible leur permettant de contrer ces discours qui les dénigrent.
La police est perçue comme étant à l’image de la société, à savoir pourvoyeuse et reproductrice de discriminations. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le travail policier : en raison du développement du ressentiment, de l’incompréhension et de l’amertume, se développe une perte du lien social, ce qui a un impact sur la légitimité qu’ils reconnaissent à la police.
* : Les données présentées dans cet article sont issues de deux sources distinctes : d’une part d’une quarantaine d’entretiens semi-directifs réalisés dans le cadre d’un mémoire de fin d’études qui traite de la question des représentations de la police qu’ont les jeunes bruxellois.es issu.es de l’immigration, d’autre part d‘entretiens réalisés dans le cadre d’une étude exploratoire sur la question du profilage « ethnique » réalisée pour le compte de la Ligue des droits de l’Homme.
** : Le profil des personnes interrogées : jeunes filles et garçons bruxellois.es âgé.es de 15 à 25 ans issu.es de l’immigration.
*** : Ce qui semble relativiser quelque peu le caractère purement ethnique
**** : Ce qui semble relativiser quelque peu le caractère purement ethnique