Après avoir constaté que Europol dans son récent rapport mentionnait un réseau tel que Abolish Frontex dans cette catégorie (cette mention a été retirée suite à des pressions et plaintes diverses) il y a de quoi s’inquiéter sérieusement sur ce glissement totalitaire (le totalitarisme est un régime ou système politique où n’existe plus qu’un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société. Un tel système restreint l’opposition individuelle à l’État).
D’aucun.es pourraient sourire de se voir attribuer une telle définition alors que leurs activités se limitent à l’expression de valeurs et opinions certes à contre-courant des idées, politiques et activités menées par les autorités dirigeantes. Il est cependant essentiel de prendre cette dérive, loin de n’être que linguistique, très au sérieux. En effet, si l’on fait partie d’un des groupes ainsi classés, les enquêtes et éventuelles poursuites qui pourraient être entreprises à son encontre sont extrêmement liberticides et complexes à opposer et même à connaître ! Effectivement il s’agit des « Méthodes particulières de recherche ».
Terrorisme c’est quoi ?
La définition du terme « terroriste » utilisé dans la loi ne fait pas consensus, il s’agit en effet d’un concept et qui dit concept constate qu’il peut être élargi, d’autant qu’il s’agit ici d’une infraction large et politiquement chargée. Dans les faits l’on constate que l’accusation de terrorisme sert souvent à criminaliser et à délégitimer un adversaire « politique ». Ainsi, le caractère terroriste vient ajouter une circonstance aggravante à des crimes déjà couverts par la loi et autorise le recours à des méthodes particulières de recherche, plus souples et plus intrusives.
La loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes insère un article 137 au Titre Ierter du Livre II du Code pénal, qui définit l’infraction terroriste comme suit2:
« § 1er. Constitue une infraction terroriste, l’infraction prévue aux §§ 2 et 3 qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale. »
Le groupe terroriste est défini comme « l’association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, et qui agit de façon concertée en vue de commettre des infractions terroristes visées à l’article 137. »
En application de la directive européenne 2017/541 du 15 mars 2017, sont également insérés les articles 140 et 141, qui incriminent la participation et l’aide, notamment financière, à des activités terroristes.
On voit ici le risque de criminalisation des mouvements sociaux. La définition est par trop floue, de sorte qu’on ne peut pas comprendre, à la lecture de la loi, quel comportement exactement sera punissable.
Toujours en application de la directive européenne, sont également insérés les articles 140 et 141, qui incriminent la participation et l’aide, notamment financière, à des activités terroristes. Enfin, la loi précise que ces nouvelles dispositions ne sont pas applicables dans le cas de conflits armés et ne peuvent entraver les libertés et droits fondamentaux .
La Directive européenne fournit une liste exhaustive des infractions graves que les pays de l’Union européenne doivent qualifier d’infractions terroristes dans leur droit national lorsqu’elles sont commises ou qu’elles menacent d’être commises dans un but terroriste particulier. Les buts terroristes sont les suivants :
- gravement intimider une population ;
- contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ;
- gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale.
La liste des infractions terroristes que les pays de l’Union européenne doivent également punir comme des infractions pénales, même si une infraction terroriste n’a pas été effectivement commise, est étendue pour couvrir :
- les infractions liées à un groupe terroriste (à savoir diriger un tel groupe ou participer sciemment à ses activités) lorsqu’elles sont commises de manière intentionnelle ; et
- les infractions liées à des activités terroristes, qui incluent :
- la diffusion, que ce soit en ligne ou hors ligne, d’un message avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, par exemple en glorifiant les actes terroristes,
- la sollicitation ou le recrutement d’une autre personne pour commettre une infraction terroriste,
- la fourniture ou la réception d’un entraînement à des fins de terrorisme, par exemple, sur la fabrication ou l’utilisation d’explosifs, d’armes à feu ou de substances dangereuses,
- le fait de voyager à l’intérieur, à l’extérieur ou vers l’Union européenne à des fins de terrorisme, par exemple afin de participer aux activités d’un groupe terroriste ou de commettre un attentat terroriste,
- l’organisation ou la facilitation de ces voyages, y compris par un soutien logistique ou matériel, tel que l’achat de billets ou la planification du trajet, et
- la fourniture ou la collecte de fonds avec l’intention qu’ils soient utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés en vue de commettre des infractions terroristes.
Nous pouvons constater la complexité de cette loi et directives et en conséquence les difficultés de leur application mais surtout l’amplitude qu’elles permettent aux policiers et juges dans les enquêtes et les appréciations juridiques qui pourraient en découler.
Les » méthodes particulières de recherche et autres méthodes » c’est quoi ?
L’usage de « Méthodes particulières de recherches et autres techniques spéciales d’enquête », que sont notamment l’observation, l’infiltration et le recours aux indicateurs, a été légalisé par l’adoption de la Loi du 6 janvier 2003. Partiellement annulée par la Cour d’Arbitrage (actuellement dénommée Cour Constitutionnelle), cette loi a été modifiée par la loi du 27 décembre 2005 apportant des modifications diverses au Code d’instruction criminelle et au Code judiciaire, en vue d’améliorer les modes d’investigation dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave et organisée.
Cette loi pose plusieurs questions. D’une part, elle contribue à légitimer diverses pratiques ou techniques d’intervention policière en délicatesse avec les principes généraux de la procédure pénale. D’autre part, si elle vise en principe la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave et organisée, son champ d’application est en réalité bien plus large, couvrant la recherche des auteurs de toute infraction de nature à entraîner une peine d’un an d’emprisonnement. Enfin, cette législation s’inscrit dans un mouvement plus général qui renforce l’autonomie policière et pèse sur les relations entre acteurs judiciaires et policiers.
AVERTISSEMENT : ceci ne concerne pas les méthodes de la STASI…
Voici quelques particularités légales intéressantes à connaître :
- Art. 47 quinquies § 1er Sans préjudice des dispositions du § 2, il est interdit au fonctionnaire de police chargé d’exécuter des méthodes particulières de recherche de commettre des infractions dans le cadre de sa mission.
- § 2 : Sont exemptés de peine les fonctionnaires de police qui, dans le cadre de leur mission et en vue de la réussite de celle-ci ou afin de garantir leur propre sécurité ou celle d’autres personnes impliquées dans l’opération, commettent des infractions absolument nécessaires, ce avec l’accord exprès du procureur du Roi.
Ces infractions ne peuvent être plus graves que les infractions pour lesquelles les méthodes sont mises en œuvre et doivent être nécessairement proportionnelles à l’objectif visé.
- L’observation au sens du présent code est l’observation systématique, par un fonctionnaire de police, d’une ou de plusieurs personnes, de leur présence ou de leur comportement, ou de choses, de lieux ou d’événements déterminés. Une observation de plus de cinq jours consécutifs ou de plus de cinq jours non consécutifs répartis sur une période d’un mois, une observation dans le cadre de laquelle des moyens techniques sont utilisés, une observation revêtant un caractère international ou une observation exécutée par des unités spécialisées de la police fédérale.
- Le procureur du Roi indique à ce moment dans une décision écrite séparée les infractions qui peuvent être commises par les services de police dans le cadre de l’observation ordonnée par le juge d’instruction
Ces rapports confidentiels sont communiqués directement au procureur du Roi, qui les conserve dans un dossier séparé et confidentiel. II est le seul à avoir accès à ce dossier, sans préjudice du droit de consultation du juge d’instruction visé à l’article 56bis. Le contenu de ce dossier est couvert par le secret professionnel. § 2. L’autorisation d’observation et les décisions de modification, d’extension ou de prolongation, sont jointes au dossier confidentiel. - Art. 47 octies § 1er. L’infiltration au sens du présent code est le fait, pour un fonctionnaire de police, appelé infiltrant, d’entretenir, sous une identité fictive, des relations durables avec une ou plusieurs personnes concernant lesquelles il existe des indices sérieux qu’elles commettent ou commettraient des infractions dans le cadre d’une organisation criminelle visée à l’article 324bis du Code pénal ou des crimes ou des délits visés à l’article 90ter, §§ 2 à 4.
- L’infiltrant peut, dans des circonstances exceptionnelles et moyennant l’autorisation expresse du magistrat compétent, recourir brièvement, dans le cadre d’une opération spécifique, à l’expertise d’une personne externe aux services de police !
- Le procureur du Roi peut intercepter et saisir le courrier confié à un opérateur postal, destiné à, provenant de ou concernant un suspect.
- § 1er. Le juge d’instruction peut, par une ordonnance écrite et motivée, qu’il communique au procureur du Roi, autoriser les services de police à pénétrer dans un lieu privé, à l’insu du propriétaire ou de son ayant droit, ou de l’occupant, ou sans le consentement de ceux-ci, s’il existe des indices sérieux que les faits punissables constituent ou constitueraient un délit visé à l’article 90ter, §§ 2 à 4, ou sont commis ou seraient commis dans le cadre d’une organisation criminelle, telle que définie à l’article 324bis du Code pénal, et si les autres moyens d’investigation ne semblent pas suffire à la manifestation de la vérité.
- Dans l’article 90ter, § 1er du même Code, l’alinéa suivant est inséré entre les alinéas 1er et 2 : « En vue de permettre l’écoute, la prise de connaissance ou l’enregistrement direct de communications ou télécommunications privées à l’aide de moyens techniques, le juge d’instruction peut également à l’insu ou sans le consentement de l’occupant, du propriétaire ou de ses ayants droit, ordonner la pénétration dans un domicile ou dans un lieu privé. »
- Art. 46 quater.§ 1er : En recherchant les crimes et les délits, le procureur du Roi peut requérir, s’il existe des indices sérieux que les infractions peuvent donner lieu à une peine d’emprisonnement correctionnel principal d’un an ou à une peine plus lourde, les renseignements suivants :
- la liste des comptes bancaires, de quelque nature que ce soit, dont le suspect est le titulaire, le mandataire ou le véritable bénéficiaire et, le cas échéant, toutes les données à ce sujet;
- les transactions bancaires qui ont été réalisées pendant une période déterminée.
Lorsqu’on y regarde de plus près donc, l’accusation de faire partie d’un prétendu groupe ou collectif « terroriste » est loin, très loin d’être anodin et ne doit pas être pris à la légère.
Une vigilance accrue et la solidarité sont indispensables pour ne pas glisser vers des politiques s’accoquinant de plus en plus avec des caractéristiques totalitaires qui petit à petit s’immiscent pour finir par se banaliser.
- Wikipedia
- Europol SOCTA 2021
- Loi du 19 décembre 2003 sur eJustice
- Directive relative à la lutte contre le terrorisme (UE) 2017/541 au Journal officiel de l’Union européenne
- Loi du 27 décembre 2003 sur OpenJustice
- 2021_Europol_SOCTA_A.Corrupting.Influences-The.Infiltration.And.Undermining.By.Organised.Crime.pdf
- Loi_2003.12.19_2003009963_Relative.Aux.Infractions.Terroristes.pdf
- Directive_2017.03.15_2017.541_Lutte.Contre.Le.Terrorisme.pdf
- Loi_27.12.2005_2005010015_Portant.Modifications.Code.Instruction.Criminelle.Et.Code.Judiciaire.Ameliorer.Investigation.Lutte.Terrorisme.Criminalite.Oganisee.pdf