Le samedi 9 mai 2015 a eu lieu la 5ème édition du Steenrock, festival musical installé devant le 127bis. Ses revendications : la suppression des centres fermés, l’arrêt des expulsions, la révision des politiques d’asile et de migration en vue de les acheminer vers la liberté de circulation pour toutes et tous, et la condamnation des violences policières.
La visite d’une délégation parlementaire [des centres fermés 127bis et Caricole, c’est à dire des centres de détention pour migrants en situation irrégulière en attente d’expulsion ou de reconduite à la frontière; ces deux établissements se trouvent sur la commune de Steenokkerzeel, immédiatement contiguës à l’aéroport de Zaventem, NDLR] a été organisée avec, entre autres, la présence de la LDH. Y participaient : Marco Van Hees (PTB), Benoît Hellings (Ecolo), Vincent Cornil (MRAX), Stéphane Crusnière (PS), Michaël Verbauwhede (PTB) et une députée européenne (suédoise). Il avait été demandé à la LDH également d’y prendre part, d’autant que les autres membres n’avaient jamais visité de centre et que nous pouvions être en quelque sorte leur guide [La LDH est en effet association dite agréée par l’Office des Étrangers pour visiter et assister les détenus en centres fermés, NDLR]. Alexis Deswaef, le Président de la LDH, a donc accompagné la délégation au 127bis et moi [Geneviève Parfait, NDLR] au Caricole.
La visite au Caricole, ce centre inauguré au printemps 2012 a duré environ 1h30, elle a débutée par une « présentation » dans la salle de réunion par la directrice, accompagnée de son chef de la sécurité.
Le centre a une capacité de 90 places et est rarement occupé à plus des deux tiers; initialement il était destiné à remplacer les centres INAD et de Transit de l’aéroport, donc des personnes « inadmissibles » pour l’entrée en Belgique en raison de papiers estimés pas en ordre, ou d’un manque de preuves de disposer de suffisamment d’argent par exemple. Ces personnes étant habituellement renvoyées quasiment par le vol retour, séjournent environ 3 jours au centre. Il y a également des demandeurs d’asile qui ont introduit une demande depuis l’aéroport ou le Caricole et pour qui l’enfermement est plus long. Ils attendent l’aboutissement de la procédure et la détention est de 2 mois et demi à 3 mois [durée maximale légale de détention, NDLR]. Si leur demande est admissible, ils sont pris en charge par Fedasil. Dans le cas contraire, ils/elles seront expulsés. La troisième catégorie de personnes est constituée de personnes qualifiées d’illégales : elles sont enfermées dans l’attente de la possibilité d’une expulsion. Les durées d’enfermement peuvent alors durer des mois. Rappelons ici la détention d’une femme enceinte pendant près de 6 mois. Enfin s’y retrouvent aussi des personnes relevant du ministère de l’Intérieur (généralement en provenance de prisons). Ce mélange de populations ne pose pas de problème de cohabitation nous dit-on, l’ambiance ressentie est d’ailleurs plutôt calme.
La population actuelle est principalement composée d’Albanais, d’Irakiens et de Syriens. À la question de savoir s’il y avait des mineurs dans le centre, nous apprenons que cela peut arriver mais pour quelques heures seulement, le temps d’organiser la vérification de l’âge ou leur départ. Depuis quelque temps, la politique pratiquée consiste à envoyer d’office les femmes au Caricole plutôt qu’au 127bis. Aucune raison concrète n’a pu être obtenue quant aux motivations de cette manière de faire. Le 127bis, une prison pour hommes uniquement ?
Aux questions concernant l’accessibilité aux renseignements sur leurs droits (avocat, procédures, plaintes, etc.) nous sommes informés que des fiches (dans une trentaine de langues) sont données aux détenus lors de leur arrivée. Les informations concernant les visites des ONG et la Commission des plaintes sont affichées dans les locaux communs. Faute de temps nous ne les avons pas vues.
La visite se poursuit le long des corridors blancs. Tout est blanc ici, en arrondi [le Caricole a une forme circulaire en anneau, coupant les détenus de tout repère visuel extérieur, NDLR] les fenêtres donnant désespérément sur des champs ou pistes au loin. Tout est aseptisé. On pourrait s’imaginer se trouver dans un hôpital. Alors que les personnes ne connaissent que rarement cette langue, nous notons que les écriteaux sont en néerlandais uniquement. Un local internet existe mais il n’est accessible que quelques heures, faute de personnel. Une cour extérieure (environ 3m²), un terrain de sport, entourés de hauts grillages, existent… mais nous n’y avons vu personne. Idem pour la bibliothèque La salle TV, elle, était occupée par plusieurs détenus.
Nous visitons également les chambres (de 4 personnes) correctement tenues, les salles de « intake » et autres pièces de l’administration, les chambres d’isolement « uniquement pour les personnes malades », en cas de risque d’Ebola par exemple. Un judas permet de regarder à l’intérieur de ces chambres. Elles peuvent être fermées en indirect, c’est-à-dire par le sas qui y mène. Nous demandons aussi à voir les cellules d’isolement. Ce sont de petites cellules aux minuscules fenêtres type meurtrières, des « cours » noires, comme une cheminée carrée (2m²) aux murs noirs, nus sans siège ni objet quelconque. Elles servent parfois de fumoir. Le recours à l’isolement aurait été pratiqué une quinzaine de fois en 2014, souvent suite à une mauvaise nouvelle, parfois pour de très courtes périodes de deux à trois heures ; le temps que le détenu se calme. Le recours aux médicaments ne se fait a que sur prescription médicale, un registre est tenu.
Lors d’une halte dans l’un des corridors, nous nous attardons auprès de trois dames qui souhaitaient nous faire part de leur situation. Il apparaît effectivement que, si du point de vu logistique il n’y aurait pas trop à redire, les problèmes sont liés à la privation de liberté et aux situations humiliantes, par exemple le fait d’être menotté lors des transports vers le tribunal. Rappelons ici le sort qu’avait connu une jeune Somalienne qui, menottée dans la camionnette de police et oubliée par les policiers, avait dû attendre deux heures sous un soleil de plomb, sans accès à une boisson ni possibilité d’appeler au secours, avant que l’on se souvienne d’elle et qu’on la reconduise au centre. D’autres personnes mentionnent le fait que la nourriture ne semble convenir qu’à un seul type de personnes et que, de ce fait, voilà plusieurs jours que certaines d’entr’elles refusent de manger. Des détenus arrivent petit à petit pour nous parler. Un monsieur âgé nous montre sa prothèse de jambe et ne comprend pas pour quelle raison il se trouve là. Un autre monsieur raconte qu’il a été arrêté dans les 20 minutes qui ont suivi son information de refus de demande d’asile. Un autre encore nous dit qu’il souhaite changer d’avocat…
Nous avions aussi posé la question de l’intervention de la police à l’intérieur du centre, ce à quoi il nous a été répondu par la négative. Au moment où la directrice nous fait quitter le centre par l’arrière, nous apercevons une quinzaine de policiers qui quittent le centre également…
Quelques médias (pas de presse grand public, ni bien sûr celle du service publique) nous accueillent à la sortie. Bien qu’une prise de parole avait été prévue pour la LDH par les organisateurs du festival (cet événement, dont l’initiative revient à la Coordination contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation (CRER), était organisé conjointement avec Bruxelles Laïque, le Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), et le Service Civil International (SCI); il est soutenu par le Service International de Recherche, d’Éducation et d’Action Sociale (Siréas), le Centre National de Coopération au Développement (11.11.11-CNCD), Le Monde des possibles, la Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRÉ), la Centrale Jeunes FGTB, le Parti du Travail de Belgique (PTB) et Kairos, et Tout autre chose), elle n’a finalement pas été permise par les organisateurs, débordés par le temps. Il sera intéressant de voir le suivi accordé par les parlementaires à cette visite…