De nouveau un photographe se voit inquiété pour avoir filmer des policiers lors d’une « occupation festive » VSP…
Frédéric Moreau de Bellaing, photographe professionnel, dans le cadre d’un projet sur les migrants, se rend à l’inauguration d’une nouvelle occupation organisée par le collectif La Voix des Sans-papiers (VSP) le 21 juillet dernier.
Il y prend des clichés; qu’il diffuse sur plusieurs pages FB. Le 9 octobre, surprise : il reçoit un courrier de la Zone de police BXL Ouest, le convoquant à une audition pour « être entendu sur des faits qui concernent une infraction punissable d’une peine privative de liberté qui pourraient vous être reprochés, plus précisément : INFRACTION À LA LÉGISLATION RELATIVE À LA VIE PRIVÉE.« .
La policière qui le reçoit lui reproche d’avoir « photographié des policiers, le 21 juillet, sans leur accord ». Durant l’audition, elle le questionne à plusieurs reprises sur les responsables des pages FB qui ont publié des photos de la manifestation, le type d’appareil photo qu’il utilise. Elle lui indique ensuite que son domicile va faire l’objet d’une perquisition et que son appareil sera saisi. Devant son refus de signer sa déposition et demande à voir le commissaire, qui, après avoir contacté les services juridiques de la police, décidera qu’ « il n’y a pas violation au droit de la vie privée car les personnes sont en service et leur image n’est pas protégée dans ces cas-là. »
Face à cet énième avatar des tentatives d’intimidation de plus en plus fréquentes de la police confrontée au droit citoyen de filmer la police en action, ObsPol tient à souligner les faits exemplaires dans cette affaire :
- Le photographe avait pris la précaution de consulter un avocat sur la législation relative à la vie privée, pour être sûr de ne pas y contrevenir.
- Bien qu’il sache avoir parfaitement le droit de photographier les policiers, Frédéric s’est dans un premier temps abstenu de photographier les policiers qui lui ont demandé agressivement de ne pas le faire (il souhaitait simplement ne pas rajouter aux problèmes des sans-papiers de VSP).
- Tout ce que les policiers auraient pu faire, c’est lui demander de prendre les photographies de plus loin.
- Aucun cliché où l’identité d’un policier aurait pu être reconnu n’a été publié, une exigence éthique que s’est fixée Frédéric.
Vincent Engel, dans un article publié sur le site de Le Soir dénonce le « processus théâtral » à l’œuvre :
- Le ton menaçant de la convocation à être entendu (ou « invitation » , selon la terminologie en usage), qui laisse entendre que « Vous avez commis une infraction grave, vous ne savez pas laquelle mais préparez-vous au pire » ;
- L’audition se déroule face à une policière en gilet pare-balles, dans le sanctuaire d’un commissariat : façon de souligner que le photographe est un dangereux individu ?
- Il est signifié au déposant qu’il n’avait pas le droit de photographier les policiers : mensonge ou incompétence ?
- Lorsque Frédéric refuse de signer le PV d’audition et demande à appeler son avocat, refus de la policière : « Vous ne pouvez pas » . Vraiment ?
On le voit, tout est mis en œuvre pour que le doute s’installe dans l’esprit du « justiciable« , pour que naisse un sentiment de culpabilité injustifié alors même qu’il est dans son bon droit et s’est sciemment astreint à des limites plus strictes que les règles prescrites pour le respect de la vie privée par la loi belge.
Dans l’affaire toute récente de Zin TV (la 1ère audience a lieu à huis-clos ce mardi 14 novembre au palais de justice de Bruxelles), Guy Cumps, Président du Comité P, a pris la plume pour rappeler aux avocats de la télé alternative qu’un « policier ne peut pas supprimer lui-même ou imposer la suppression des images ou vidéos à la personne les ayant réalisées« . (Pour mémoire, en octobre 2015, lors d’une manifestation contre le TTIP, le Traité transatlantique de libre-commerce, des policiers ont saisi la caméra d’une équipe de ZIN TV et effacé des données vidéo des cartes mémoires).
Rappel à la norme et page tournée ? Pas si sûr… Dans le même courrier, Guy Cumps précise que « les plaignants [les photographes et vidéastes de Zin TV, NDLR] étaient effectivement mêlés au groupe de manifestants arrêtés administrativement et pouvaient donc être considérés comme faisant partie du mouvement« .
Doit-on en conclure que les policiers seraient fondés à arrêter toute preneur d’images ayant un lien avec des personnes arrêtées administrativement, ne serait-ce que par leur présence sur les lieux de l’intervention ? L’impossibilité de faire valoir son droit de filmer la police au moment de l’interpellation (et l’on sait combien il est souvent difficile de se faire entendre de policiers qui refusent toute communication avant de vous embarquer) justifierait-elle l’arrestation et le « processus théâtral » qui s’ensuit ?
Ainsi que le rappelle ZinTV :
« La question ne concerne pas uniquement la corporation de la presse mais tous les citoyens en situation de filmer la police dans ses interventions, que ce soit en manifestation, lors d’arrestations, d’expulsions ou encore plus récemment lors des rafles qui ont eu lieu au parc Maximilien où des migrants, des volontaires de la plateforme citoyenne de solidarité aux réfugiés ainsi que des photographes ont subi des intimidations et des violences alors qu’ils filmaient les interpellations et les arrestations. Ils se sont fait saisir leurs téléphones, certaines photos et vidéos ayant été effacées par les agents de police, en toute illégalité. »
On mesure ici la marge entre détenir un droit l’exercer. « Avoir le droit de » est souvent plus facile que de « faire valoir son droit » devant des policiers.
Entre manque de formation, incompétence et mensonge volontaire, le citoyen est démuni. Mais mieux vaut être démuni qu’ignorant, alors téléchargez et gardez sur vous le flyer Filmer la police, et n’hésitez pas à témoigner sur notre site si vous aussi êtes victime ou témoin d’un abus policier : professionnel ou non, vous avez le droit de les filmer !