Le verdict est tombé : trois policiers ont été jugés coupables plus de trois ans après le décès dans leur commissariat d’Ibrahima Barrie le 9 janvier 2021.
Si l’on peut apprécier qu’il y ait bien condamnation, relevons une nouvelle fois que le parquet requiert l’acquittement des policiers et ce, même dans un cas de décès d’une personne entre leurs mains et malgré les images éloquentes ! Ibrahima Barrie a été arrêté au motif du passe-partout « trouble à l’ordre public ».
Il apparaît pourtant qu’Ibrahima avait estimé nécessaire de filmer les agissements de la police. Visiblement pour lui, leur manière de traiter une personne le heurtait. Ceci ressort de la phrase prononcée : « Regardez comment ils traitent les gens, regardez ! ».
Filmer la police n’est pas un délit, effectivement ceci ne doit pas gêner les policiers mais ici Ibrahima déclare calmement « Je garde mes distances, je garde mes distances, bien sûr ».
Néanmoins les policiers donnent une version qui leur est propre, faisant fi de la réalité des enregistrements ils ajoutent des éléments improuvables et improuvés tels que le fait que Ibrahima se serait montré insultant et perturbait leur travail.
Ces arguments trop souvent mis en avant comme excuse pour une arrestation sont pourtant fort éloignés de ce que prévoit la loi : les policier.ères ne peuvent procéder à une arrestation administrative qu’en cas d’absolue nécessité et uniquement pour 4 motifs limitativement énumérés dans la loi :
l’obstacle à l’accomplissement de leur mission
d’assurer la liberté de la circulation,
la perturbation de la tranquillité publique,
l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une personne se prépare à commettre une infraction qui met gravement en danger la tranquillité ou la sécurité publiques ou encore le cas dans lequel cette personne commet effectivement ce genre d’infraction.
Ici aucun de ces motifs ne semble applicable (même si on pourrait argumenter que ces 4 situations ont volontairement été rédigées en termes très vagues pour être applicables à tout contexte) et pourtant Ibrahima est emmené au commissariat.
Ses poches sont vidées et il est fouillé en présence de 4 inspecteurs. Cette situation qui peut sembler banale si l’on ne s’y attarde pas se révèle pourtant pour la personne qui la subit comme un moment très stressant. C’est à ce moment que Ibrahima chancelle et glisse au sol à deux reprises.
Au lieu de s’inquiéter de son état, les policiers ne font que le placer sur une chaise. Ici encore leurs dires dépassent l’entendement, ils prétendent avoir cru que cet homme entouré de 4 policiers, aurait tenté par là, de perturber leur travail. On croit rêver !
Qui se laisserait tomber au sol au commissariat, entouré de policiers pour perturber leur travail ? Qui ? Mais qu’à cela ne tienne les valeureux inspecteurs le placent sur une chaise. Pourtant cet homme en totale vulnérabilité continue de basculer vers l’avant et il est forcé physiquement de se redresser à trois reprises, et pour être bien certain que cela fonctionne le policier le pousse avec une violence telle que sa tête percute un mur. Les images peuvent en témoigner…
Mais les récits policiers sont redoutables et ne manquent pas d’imagination puisque le policier en cause indique qu’il a agi de la sorte « pour éviter le risque d’être exposé à une éventuelle morsure » ! Éviter le risque de quelque chose d’éventuel ? Alors que la victime se serait laissée tomber pour perturber leur travail ? Mais comment de tels bullshits peuvent-elles être comprises voire acceptées par un esprit sain ?
Mème le légiste n’y croit pas, homme pourtant prudent étant donné qu’il ne se risque pas à considérer que l’attitude de ces policiers ait mené au décès de Ibrahima.
Donc : un jeune homme filmant une scène de policiers visiblement agressifs envers une personne, emmené au commissariat, fouillé et maltraité malgré sa fragilité évidente, frappé, s’effondrant au sol, finit par décéder et personne ne peut formellement établir que tous ces faits se déroulant au commissariat, lieu à l’écart de tous les regards, n’aient mené à sa mort à l’âge 23 ans.
Deux policiers ont été reconnus de n’avoir agi conformément à une attitude humaine et par ailleurs légale en ne portant pas secours et ont écopé de six mois de prison avec sursis… ils pourront donc continuer de la sorte s’ils restent bien à l’abri des regards.
Quant au frappeur, il écope d’1 mois de prison avec sursis probatoire pour coups et blessures. La responsabilité de la mort de Ibrahima lui est cependant épargnée.
Un drame, quelques condamnations avec sursis pour les policiers qui s’en sortent pas mal étant donné qu’ils ont été reconnus coupables. Un réel succès pour encourager les policiers à se comporter avec la même rigueur légale que les cityen.ne.s lambda ?
- La Libre
Le Soir, 26 juin 2024