30 avril 2022, Liège
29 ans. Insulté, humilié, frappé avec une radio, giflé, pris à la gorge, cogné alors qu’il était menotté, iPhone cassé
Un homme de 29 ans, habitant Herstal, est interpellé, arrêté et emmené dans un commissariat à Liège.
Souffrant de troubles psychologiques, cette personne racisée va être prise à partie tour à tour par plusieurs policiers, émus sans doute par l’injustice ressentie par la victime, qui se rebiffe verbalement et tente de se protéger des coups : gifles, coups, insultes, humiliation, déshumanisation…
Manque de bol : la bodycam de l’un des flics est allumée…
La RTBF a pu mettre la main sur la vidéo, qui nous renseigne utilement sur la situation d’une personne, qui plus est non-blanche et affligée de troubles psy, plongée dans le bunker d’un commissariat, à l’abri des regards indiscrets, et bien pourvu en gros costauds suintant la testostérone et l’envie de jouer les « macs ».
La version de la police
L’homme s’en serait volontairement pris à un véhicule de police, puis rebellé tout au long de son interpellation : les agents ont rédigé un procès-verbal pour rébellion, à la suite de coups qu’ils auraient reçus et de crachats qu’ils auraient essuyés. Se sont défendus, quoi. avant de passer à l’offensive au commissariat.
La version de la bodycam
Le procureur du roi s’est saisi de l’affaire, le contrôle interne de la police zonale a mené les investigations. 19 minutes de vidéo sont découvertes et ajoutées au dossier.
Bilan selon la RTBF :
« Un étranglement, un passage à tabac, une volée d’injures, et de multiples moqueries à l’égard de l’individu interpellé. Et un effet de meute qui tourne à l’humiliation. »
Florilège d’insultes relevées par la RTBF :

Certes, la victime est « récalcitrante » (dans sa situation, peut-on blâmer la victime ?). Pas facile à domestiquer. Mais les images montrent que rien n’est fait pour désescalader, tout est fait pour dominer, dompter et rabaisser.
Plusieurs « sanctions disciplinaires lourdes » et des mises à l’écart ont été prises, la justice se met en branle.
Huit policiers sont poursuivis pour « traitements dégradants » devant le tribunal correctionnel de Liège, qui s’est ouvert en mai 2023.
Fabrice Giovannangeli, avocat d’un des policiers :
» Tous ont expliqué la difficulté dans laquelle ils travaillent de manière générale, et particulièrement ce jour-là. Et tous ont expliqué que d’aucune façon il n’y avait eu chez eux un souci d’humilier. Parce que c’est ça qu’on leur reproche : c’est devoir voulu humilier volontairement «
Alexandre Wilmotte, avocat de deux policiers :
« À un moment donné, quand vous vous faites cracher au visage, il y a une réaction qui est un reflexe, c’est ce qui a été expliqué, de toucher le visage de l’intéressé avec la main. Après, il y a des paroles, qui sont effectivement peu glorieuses. Maintenant, ces gens sont des humains et un moment donné, on peut effectivement avoir des paroles déplacées, que l’on peut regretter après coup, c’est évident, mais c’est très facile d’être dans son fauteuil, de regarder une intervention et puis de la critiquer «
Vraiment ?
Prochaine audience : 8 novembre 2023, avec les plaidoiries des avocats, et peut-être l’audition du jeune homme, demandée par certains avocats.
Le tribunal correctionnel de Liège a prononcé son jugement le 18 janvier 2024 dans le dossier à charge de neuf policiers liégeois pour traitement dégradant et, pour deux d’entre eux, coups et blessures volontaires.
Des faits ahurissants ont été révélés lors de l’audience
Ainsi une quinzaine de minutes, un policier dont le jeune avait ciblé le crâne dégarni s’était assis à califourchon sur lui et au moins un coup lui avait été porté. Le fait qu’il souffre d’un complexe relatif à sa calvitie – ce qu’il avait invoqué – ne justifie en rien sa réaction, a conclu la juge.
Le gradé qui avait frappé avec sa radio, avait évoqué un harcèlement quotidien en rue, des insultes, une agressivité croissante vis-à-vis d’eux. Les insultes du jeune arrêté, ce jour-là, auraient été un déclencheur d’une scène qui, le disaient-ils tous, ne leur ressemblait pas et avait sans doute été aussi liée à un effet de groupe.
La juge a estimé, au vu des multiples moqueries adressées à ce jeune laissé au sol, menotté dans le dos, que les faits de traitements dégradants étaient établis sauf pour un policier, tout comme ceux de coups, à charge des deux poursuivis pour cette qualification.
Les voies de l'(in)Justice sont impénétrables…
Cependant, comme il est presque systématique pour des policiers incriminés, et bien que les juges reconnaissent les faits de violences illégitimes à l’encontre d’un.e citoyen.ne, ici aussi la juge a tenu compte du contexte et de l’absence de tout antécédent au disciplinaire pour accorder aux huit une suspension du prononcé qui ne laissera pas de trace sur leur casier. Ils devront, au civil, indemniser la victime à hauteur de plusieurs milliers d’euros.