5 septembre 2023, école spécialisée Rue des Boutis à Ham-sur-Heure (Nalinnes)
9 ans. Insulté, plaqué contre un mur puis à terre, genou sur la nuque, menacé ainsi que sa mère: traumatisé et sanctionné par l’école !
Mathis, un jeune de couleur âgé de 9 ans, se fait insulter dans la cour de son école : « sale noir », « chocolat gratiné » par un autre élève, sous les yeux du personnel enseignant et éducatif.
Comme ils ne réagissent pas, Mathis se met en colère. Une situation face à laquelle la direction de l’école ne va pas hésiter à appeler la police.
Les flics arrivent, plaquent Mathis contre le mur, mains dans le dos, puis un flic le plaque au sol avec son genou, une position qui rappelle de nombreux drames (Lamine Bangoura en Belgique, George Floyd aux US, Adama Traore en France etc.) juste avant que sa mère arrive.
Sa mère filme la scène et la diffusé dans plusieurs médias belges [ce qu’elle n’aurait pas du faire : rappelons-le, filmer la police est un droit et même un devoir, mais diffuser des images où les flics peuvent être reconnus constitue une atteinte à leur vie privée, NDLR]. Sur la vidéo, particulièrement violente, on peut voir Mathis au sol, sous le poids d’un policier qui lui demande si « il est calme » avant de finir par le libérer.
D’après Mathis, lors de son plaquage au sol, le policier lui aurait dit :
« Je veux que ta maman te trouve dans cette position, comme ça, si elle arrive et fait sa maligne, je vais la plaquer aussi au sol »
La presse reprend la version de la direction ainsi que celle de la police. La directrice de l’école, interrogée, ne mentionne pas que l’altercation a commencé à la suite d’une insulte raciste. Elle ne mentionne pas non plus le plaquage ventral, et ose dire que le contact avec la police a été « bienveillant » (sic).
La version de l’école
Maïté Milauvre, la directrice :
« Durant la récréation de midi, entre 13:15 et 13:45, il y a eu une altercation entre deux enfants. Les surveillantes, mes collègues qui étaient au nombre de trois, sont intervenues et ont séparé les deux enfants. […] [Appeler la police] a été l’ultime recours, la dernière solution que j’ai pu trouver étant donné l’escalade et la montée en puissance du comportement de l’élève. Avant cela, il a tenté de fuir, de quitter l’école en escaladant les différents portails. Il a également grimpé sur un arbre pour tenter de fuir, il a erré dans les couloirs, il a tenté de détruire le matériel, de frapper le personnel qui le suivait pour éviter qu’il se mette en danger, ce qu’il a fait malgré tout.
Il a mis en danger les autres membres du personnel ainsi que les enfants, nous sommes intervenues à plusieurs, l’éducatrice, la psychologue de l’établissement, la coordinatrice pédagogique et moi-même, même un ouvrier de l’école est venu nous aider pour maîtriser le comportement de cet enfant qui était ingérable, nous avons donc décidé d’appeler la police après avoir à de multiples reprises tenté de contacter la maman de l’enfant, sans succès. Raison pour laquelle, la seule solution a été pour nous de nous adresser à la Police. »
La version de la police
Alain Bal, chef de corps de la zone de police Germinalt. (Une zone de police compétente sur le territoire des communes de Gerpinnes (GER) , de Montigny-le-Tilleul (MI), de Ham-sur-Heure/Nalinnes (NAL) et de la Ville de Thuin (T) :
« La direction l’a maîtrisé dans un premier temps, avant de faire appel à nos services. Nous n’entrons pas dans les écoles comme ça. L’enfant était difficile et la mère ne répondait pas aux appels de l’établissement scolaire.
Un procès-verbal a été rédigé pour le procureur du roi de Charleroi. La maman du mineur a décidé de filmer la scène et de faire ce qu’on appelle du bashing alors que les policiers ont simplement fait leur travail et fait un maximum pour préserver la sécurité tant de la direction à l’origine de l’appel que de l’enfant. Avec cette vidéo, on risque fort d’attaquer les policiers, mais il faudra aussi que la maman assume ses responsabilités. On expliquera notamment qu’il y a eu des appels et qu’elle n’est pas intervenue immédiatement […]. Si nos collègues sont attaqués, nous les défendrons. »
La version du Parquet de Charleroi
Le Parquet a confirmé l’ouverture d’un procès-verbal pour indiscipline à la suite du comportement de Mathis :
« C’est un comportement assez problématique et cela risque probablement d’être renvoyé devant les services d’aide à la jeunesse pour éventuellement prendre en charge l’enfant et son comportement ».
La version de la mère de Mathis
Rita Nkatbayang :
« Mathis est par terre, au sol, le policier est sur lui. Je tremblais. Je demande à la Police si je peux prendre une photo, si je peux filmer. Ils m’ont répondu, vous faites ce que vous voulez, vous prenez des photos ou des vidéos. Je n’arrivais pas à réaliser ce que je voyais, je n’arrivais pas à le croire. Quand j’ai demandé à la directrice ce qui s’était passé, elle me dit votre fils s’est fait traiter de sale noir et (de) chocolat gratiné, ce qui l’a mis en colère. En un semaine, c’est la troisième fois qu’il se fait traiter de sale nègre, vous comprenez que cela peut être ça (L’origine de sa colère NDLR). Je veux juste que justice soit rendue pour mon fils.
Mathis, il est fort mais il est détruit […] Il me dit « Maman, le policier est sur moi, quand je dors, je vois le policier qui est sur moi ».
Un élément peu souligné dans la presse, qui s’est même permis d’ouvrir un débat sur la légitimité de cette violence. Jeudi dernier, la RTBF consacrait ainsi une émission de radio à la question : « Débat : Mathis, 9 ans, a été plaqué au sol par la police dans son école, ça vous choque ? », donnant la parole à de nombreux auditeurs revendiquant la violente intervention policière. Un traitement de l’affaire particulièrement raciste et nauséabond….
Selon un article intéressant publié par Cité 24 :
Les policiers de Châtelet ont clairement répété qu’ils ne voulaient pas enregistrer une plainte contre leurs collègues et que l’unique cadre dans lequel Mathis et sa maman pourrait être entendu est celui de la poursuite contre Mathis pour « indiscipline » et « mise en danger » mise à l’information à la suite du PV rédigé par la police lors de l’intervention à la demande de l’école spécialisée de Nalinnes le 5 septembre. En se substituant ainsi au procureur du roi, la police de Charleroi entrave le droit de Mathis et de sa maman à pouvoir se constituer comme victime. Il s’agit ici clairement d’une solidarité mal placée et illégale entre collègues, qui au nom d’un « esprit de corps » refusent d’appliquer un droit fondamental des justiciables, celui de déposer une plainte.
Il aura donc fallu se battre pied à pied avec les avocats, par l’intermédiaire d’une prise de contact avec le procureur du roi et un rendez-vous pris avec un policier spécialisé en discriminations pour que la plainte puisse enfin être enregistrée et pour qu’une information judiciaire soit ouverte de façon à constituer Mathis et sa maman comme victime de brutalités policière et scolaire ainsi que de discrimination, de diffamation et de négrophobie. Nous rappelons que si la plainte de la maman de Mathis a pu enfin être déposée aujourd’hui c’est grâce à un dispositif spécial, qui malheureusement n’est pas accessible à tous les citoyens.
La maman de Mathis est une guerrière qui est fortement et efficacement soutenue mais les entraves subies dans l’effectivité des droits à se constituer partie civile et personne lésée sont clairement inscrites dans la négrophobie endémique en Belgique. Il est plus que temps de mettre en place une procédure de dépôt de plainte moins arbitraire sur laquelle la police n’a plus de prise, avec dépaysement automatique et un personnel compétent et formé à percevoir la négrophobie et ses effets. Ce que l’affaire Mathis en tant qu’affaire d’État révèle c’est bien la négrophobie quotidienne et son régime d’impunité. C’est alors pied à pied et en renforcement les actes juridiques et institutionnels des victimes qu’il s’agit de se battre.
Un rassemblement Tolérance Zéro au Racisme dans les écoles a eu lieu devant le Palais de justice de Bruxelles le dimanche 1er octobre sur la place Poelaert, devant le palais de justice. [Lire le compte-rendu et écouter l’audio des prises de paroles]