27 août 2015 – Bruges
64 ans. Brutalisé et arrêté
Jan Nolf : « Soirée foot, soirée menottes : le quart d’heure le plus riche de ma vie de juriste«
Juge de paix honoraire, M. Jan Nolf a été brutalement pris à partie dimanche 27 août par la police alors qu’il assistait à l’arrestation de supporters de Manchester United à l’issue du match contre Bruges. Son crime ? Prendre des photos de l’interpellation…
« La chance peut tourner. Hier, mercredi soir vers 22 heures, je poste un tweet paisible avec une photo de cygnes de Bruges et je m’endors. Je ne connais rien au football. Je ne sais même pas à combien ça se joue. À onze ou douze, je pense. Ce que je sais, c’est qu’on fait souvent intervenir beaucoup de brigades policières aux frais du contribuable, mais ça c’est une autre histoire. Donc hier soir, je me réveille brusquement : un hélico se trouvait juste au-dessus de la maison. Un hélicoptère de police en position fixe, ce n’est pas une bonne nouvelle. J’enfile des vêtements en vitesse. La rue semblait pleine de combis de police. On dirait qu’il y avait foot en ville mais aussi et surtout de la bagarre. Le commerce de mon plus jeune fils se trouve à quelques mètres de la zone bloquée, donc je voulais aussi aller jeter un coup d’œil. Tout le quartier était en train d’observer la scène formée par la série d’arrestations et de filmer avec des smartphones. Votre serviteur donc aussi.
En fait, j’ai d’abord été vraiment impressionné par le professionnalisme des policiers. Aucune nervosité, aucun cri, aucune course précipitée. Surtout de la détermination, une détermination que leur permettait peut-être leur supériorité en nombre. L’hélicoptère rendait cependant la scène un peu macabre : après tout ce n’était pas une alerte terroriste ou un braquage de banque. Il s’agissait surtout d’un hold-up du contribuable qui paie pour les coûteuses heures de travail des policiers. J’ai alors tweeté ceci : « Je suis impressionné par l’intervention très maîtrisée @PolitieBrugge mais l’hélicoptère la rend un peu macabre @StadBrugge« .
Aucun policier ne protestait contre les gens qui filmaient ou photographiaient. À l’exception d’un seul, au moment où je voulais prendre une photo d’ambiance du beffroi illuminé, dans la perspective de la rue occupée par une forêt de casques de police blancs. Je vous livre à présent littéralement notre « conversation » :
« Arrêtez de filmer ! » « Je ne filme pas, je prends une photo…«
Pendant que je range mon appareil photo dans ma poche droite), le policier masqué s’approche de moi : « Arrêtez de filmer !«
Puisque j’avais mis entre-temps mon appareil photo dans ma poche droite, je ne comprenais pas très bien et lui ai répondu : « Je ne filmais pas, je prenais une photo« .
C’était comme s’il était sourd en-dessous de son casque puisqu’il a répété : « Arrêtez de filmer « .
À ce moment, je me suis vraiment demandé quelles étaient ses intentions. Je lui ai donc demandé « Pourquoi ? »
Même réponse brutale : « Arrêtez de filmer ! » alors que mon appareil photo se trouvait toujours dans ma poche droite (mon iPhone était resté dans ma poche gauche pendant toute la scène).
Je réponds calmement en haussant les épaules : « Je ne filme pas mais je ne suis pas d’accord qu’on l’interdise« .Sur ce, l’homme donne immédiatement un ordre et trois policiers casqués et masqués m’emmènent de l’autre côté de la rue, ou plutôt en oblique, vers le centre de toute l’action, et loin des autres observateurs. Là, je suis mis contre le mur les mains derrière le dos et immédiatement menotté avec des liens fins (colsons). Ensuite, je suis amené dans la file devant le bus des supporters de Manchester arrêtés. Avant de monter dans le bus, je demande trois ou quatre fois aux policiers s’ils se rendent compte de ce qu’ils sont en train de faire. Ils me regardent sans me répondre. Personne ne demande ma carte d’identité. La scène est trop dingue pour être vraie, ce qui me rend paradoxalement très calme pendant tout ce temps, même si je me demande ce qui m’attend dans le bus.
Juste avant de monter, le policier près de la porte crie : « Encore 3 places !« . Je lui souris en opinant de la tête : « Je peux donc monter aussi. » Je suis tout simplement curieux. Je suis donc autorisé à monter et demande encore en souriant : « Vous êtes vraiment certains de ce que vous faites?« . Je trouve une place à gauche dans le bus. Un homme à côté de moi se fait du souci pour son fils et demande toujours après lui : « Where is my son ?« . Je ne vois ni blessés ni ivrognes. Je parle un peu avec mes voisins anglais de droite et de gauche et on dirait que je suis le seul néerlandophone dans le bus. Je leur raconte que mon ancien bureau d’avocats se trouve à 100 mètres et que j’ai été « Judge » pendant 25 ans. Ils s’esclaffent : « We’re in good company !«
Les mains dans le dos, je ne peux évidemment pas téléphoner et je me préoccupe de ce que ma femme va penser toute à l’heure. Le seul policier harnaché qui semble finalement prête à discuter est une femme. Elle me regarde incrédule quand je lui dis que je parle néerlandais. Je lui dis que j’aimerais bien prévenir ma femme. Tout d’un coup, je vois un doute dans les yeux des trois policiers masqués dans le bus. L’un descend et revient avec un policier sans masque. Toujours menotté, je suis sorti du bus.
Soudain, il s’avère que je peux rentrer libre à la maison. Le « chef » m’explique que je dois voir les choses « dans leur contexte« , que « dans ce genre de situation, il ne faut pas discuter« , et que « je dois le comprendre. » Je lui réponds que la partie du contexte que j’ai vécu m’a appris énormément de choses. Dans les ringardes années cinquante, le mot « pourquoi » était interdit. On y répondait souvent par « parce que ». Les personnes autoritaires ont toujours du mal avec le mot « pourquoi ». Pour les juristes, utiliser ce mot est souvent une obligation. Comme juriste, je sais très bien ce qu’est un ordre de police. Je n’ai d’ailleurs aucunement enfreint cet ordre. Avec mon iPhone dans ma poche gauche et mon appareil photo dans ma poche droite, j’ai calmement et poliment demandé « pourquoi » à un policier masqué et casqué.
Même après son troisième ordre d’ « arrêter de filmer« , je n’ai pris aucune initiative pour le faire quand même. Je n’ai pas fait d’esclandre, ni élevé la voix, ni employé de gros mots. J’ai simplement dit calmement que je n’étais pas d’accord avec lui. Le tout en néerlandais. Point barre.
Les policiers font un métier difficile et j’ai du respect pour leur travail. Ce soir, il y a probablement eu à Bruges des faits qui peuvent justifier arrestations, enquêtes, poursuites et probablement aussi des condamnations. Dans l’ordre logique interviennent des policiers, des magistrats du parquet et des juges. Pour moi, ça n’aura pas été plus long qu’un quart d’heure avec des menottes. Les liens étaient particulièrement serrés au côté droit mais je ne vais pas me lamenter. C’était la toute première fois que j’ai été privé de liberté : être menotté, ça fait vraiment une drôle d’impression quand même. Quand ce genre de chose vous arrive, il faut se pincer le bras pour réaliser que c’est la réalité. Parce que ça ne devrait pas arriver. Pas en Belgique, pas à Bruges.
Je regarde mon poignet droit et je sais que c’est bien réel. C’était le quart d’heure le plus enrichissant de ma vie de juriste. Une chose est sûre, tout à l’heure, je dépose plainte au Comité P! »
[NDLR : Traduit du néerlandais par ObsPol, avec l’accord de l’auteur]
- 00.00.2015 – Dépôt de plainte auprès du Comité P
- 27.08.2015 – Agression et arrestation de Jan
- 2015.08.27_QuestioningJustice_Voetbalnacht.Boeiende.Nacht.pdf
- 2015.08.27_NOLF.Jan_Bruges.BEL_Temoignage.ObsPol.pdf
- 2015.08.27_LeVif_Le.Juge.De.Paix.Honoraire.Jan.Nolf.Arrete.Apres.Le.Match.Bruges-Manchester.United.pdf
- 2015.08.27_VRT.NWS_Un.Juge.De.Paix.Honoraire.Arrete.Apres.Le.Match.FC.Bruges-Manchester.United.pdf