L’année 2021 écoulée fut une année parsemée de plusieurs événements liés à des problématiques de violences commises par les forces de l’ordre. L’un des principaux fut le verdict concernant le policier qui a tué Mawda, effectivement le Tribunal de Mons a bien confirmé la culpabilité du policier. Violence extrême que le tir vers des personnes. D’autre types d’interrogations se sont également fait jour suite à des décès dans des lieux d’enfermement que sont les commissariats de police. Mais évoquons d’abord ce jugement très intéressant confirmant que les journalistes ne devraient pas être arrêtés dans l’exercice de leur fonction et que l’usage de menottes semble être très fréquemment abusif.
Arrestation illégale pourtant le Comité P n’y trouvait rien à redire…
Le 20 juin 2018, lors d’un blocage par des activistes du chantier de la construction d’une aile pour l’enfermement d’enfants au 127bis, une équipe de journalistes de la RTBF se trouvait sur les lieux. Vers midi la police décide de mettre fin à l’occupation en évacuant les manifestant.es. C’est à ce moment que la police locale procède à l’arrestation administrative de deux journalistes et trois techniciens, alors qu’ils s’apprêtaient à partir. Les cinq personnes sont menottées, emmenées au commissariat de Steenokkerzeel où elles resteront un peu plus d’une heure.
Suite à cette arrestation les journalistes ont déposé une plainte auprès du Comité P pour arrestation illégale. Cependant, la réponse de celui-ci fut qu’il n’y avait rien de problématique à cette arrestation. Les deux journalistes et la RTBF avaient alors décidé de poursuivre l’État belge ainsi que la zone de police Kampenhout-Steenokkerzeel-Zemst (KASTZE) au civil, en réparation du dommage causé.
Le Tribunal de première instance de Bruxelles a eu une lecture différente des événements non problématiques selon le Comité P. Il a rappelé dans son jugement du 23 décembre 2021, qu’une arrestation administrative est soumise à différentes conditions cumulatives :
- la commission d’une infraction pénale,
- sa gravité pour la tranquillité ou la sécurité publiques
- et l’absolue nécessité de la privation de liberté.
Le non-respect des modalités de visite d’un centre (ici les alentours du 127bis), n’est pas constitutif d’une infraction pénale et ne pouvait dès lors, en soi, justifier légalement l’arrestation des journalistes. De plus cette arrestation entraîne « une violation manifeste du droit fondamental à la liberté d’expression des journalistes », conclut la décision.
Quant à l’usage des menottes, le tribunal rappelle que le recours à la contrainte physique « doit être nécessaire et reposer sur des éléments concrets et objectifs ». Or, tout s’était déroulé dans le calme et les journalistes avaient directement obtempéré. Le tribunal conclut que la police locale a procédé à une arrestation illégale, et que l’arrestation administrative de journalistes dans l’exercice de leur mission « constitue une ingérence dans leur liberté fondamentale ».
Cet intéressant verdict pointe aussi le fait que certaines considérations du Comité P sont interpellantes : après tout, ne devrait-on pas s’attendre à ce que ce soit le lieu où l’application stricte et correcte de la loi et des règlements par les forces de l’ordre devraient soient rappelés ?
Non, un policier ne peut pas faire n’importe quoi de son arme
Un autre jugement de cette année qui peut être considéré comme relativement satisfaisant est la reconnaissance de la culpabilité du policier qui a tué Mawda de son arme de service.
Bien que le policier avait plaidé l’acquittement suite à sa condamnation en première instance, la Cour d’appel de Mons a considéré qu’ici il y avait bien faute commise par le policier qui n’a pas tenu compte des circonstances extrêmement risquées pour le tir sur une camionnette transportant des personnes dont des enfants, ce qu’il ne pouvait ignorer.
Décès dans les commissariats
D’autres événements dramatiques sont venus ponctuer le début et la fin de l’année écoulée et suscitent une série d’interrogations. Nous pensons ici au décès de deux personnes d’origine algérienne dans les locaux de police peu de temps après leur arrestation.
Il s’agit d’un jeune de 26 ans Mohamed Amine Berkane, dont le corps sans vie a été découvert en décembre 2021 dans une cellule de la zone de police Bruxelles-Capitale Ixelles rue Royale. En fait le même lieu où un autre ressortissant algérien avait été trouvé mort dans des circonstances analogues en janvier 2021. llyes Abbedou, âgé d’une trentaine d’années avait été découvert également décédé dans un cachot après avoir été interpellé la veille.
L’ami de Mohamed Amine Berkane, présent au moment de faits relate : « Nous avons été arrêtés au niveau de la station de Rogier à 22;35. Nous étions en train de monter dans un bus en direction de la Gare du Nord jusqu’au moment où des policiers nous ont attrapés en nous empêchant de nous présenter dans le bus. Très vite, nous avons violemment été plaqués sur un grillage situé à côté de l’arrêt de bus. À ce moment-là, les policiers ont commencé à lyncher Mohamed Amine en lui assénant des coups d’une violence inouïe au niveau du visage ainsi qu’au niveau des côtes ».
Il dira encore. « Oui, il se droguait, il buvait, il consommait toutes sortes de substances, mais quand ils l’ont arrêté, ils l’ont emmené sur ses deux pieds. […] Au commissariat, les policiers savent où sont les caméras. Ils nous frappent quand ils savent qu’ils ne seront pas filmés ».
Du racisme au sein de la police
Ceci nous amène au rapport de l’ONU du 21 mai 2021 dans lequel il est clairement fait part de la préoccupation du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies (CERD) à l’égard d’accusations de violences racistes commises par la police ainsi que du profilage racial pratiqué en Belgique.
« Le comité est préoccupé du fait que le profilage racial par la police continue d’être un problème persistant dans l’État et qu’il n’existe aucune loi interdisant explicitement le profilage racial », et pointe également une formulation trop vague des motifs pouvant donner lieu à un contrôle policier dans la loi sur la fonction de police (« motifs raisonnables« ) et le manque de données sur les personnes visées par des contrôles. Il adresse une série de recommandations à la Belgique.
Parmi celles-ci:
- l’interdiction explicite du profilage racial,
- l’adoption d’un plan d’actions contre ce phénomène,
- la mise en place d’un système indépendant de traitement des plaintes ou encore d’utiliser des formulaires précisant les raisons d’un contrôle et les voies de recours disponibles. (ce que nous nommons le « récépissé »).
Au chapitre de la « violence policière à caractère raciste », le comité se dit préoccupé par les allégations de décès en détention ou à la suite d’une intervention policière ainsi que de mauvais traitements infligés à des personnes issues de minorités ethniques, des migrants ou des demandeurs d’asile.
Illustration ? Rappelons les exactions qui ont eu lieu le 24 janvier 2021 aux Casernes d’Etterbeek (Bruxelles), à l’encontre de très jeunes manifestant.es. Une manifestation contre « la justice de classe et la justice raciste » avait eu lieu dans le centre de Bruxelles. Au cœur des revendications: « La mort d’Ibrahima, d’Adil, de Mehdi, de Lamine, de Mawda et des autres ». À cette occasion les forces de polices avaient procédé à plusieurs centaines d’arrestations.
Événement autorisé en dernière minute, le dispositif policier déployé y était particulièrement impressionnant. D’après les observations, pas moins de 12 pelotons, des fourgons de police, des canons à eau ainsi que la police montée. Pour environ 150 manifestant.es…
Une enquête de Michel Bouffioux révèle les conditions subies dans les casernes d’Etterbeek. 232 personnes arrêtées, dont 86 mineur.es d’âge. Plus de personnes interpellées que de manifestant.es ! Certaines plaquées au mur, menottées sans ménagement, alors qu’elles n’avaient même pas manifesté ; alors que certaines ne faisaient rien d’autre que de se promener, que d’autres encore voulaient prendre leur train à la gare Centrale. Lors de leur passage par les cellules des casernes, plusieurs détenus – lesquels étaient souvent très jeunes – ont été violentés, passés à tabac et insultés par des policiers.
Épinglons ici un fait rare, que ces violences aient aussi indigné des policiers. « Nous dénonçons ces actes – que nous jugeons inadmissibles – afin qu’ils ne se reproduisent plus à l’avenir », a déclaré le responsable police de la CGSP, Eddy Quaino.
En janvier 2022, malgré ces dénonciations en interne, des plaintes d’une dizaine de parents, des alertes au Comité P, rien n’avance. « Il y a un blocage au niveau judiciaire« , selon l’avocate Selma Benkhelifa. Pourtant victimes et témoins ont reconnu les policiers violents, tout est consolidé par la plainte de dix policiers, c’est assez rare. Les avocats ne comptent pas en rester là.
Violences cachées à l’ombre des locaux aéroportuaires
Un aspect encore plus sombre et caché des violences commises par des policiers concerne les sévices infligés aux personnes en migration et en particulier à l’aéroport de Bruxelles-national. Nombre de témoignages nous parviennent, décrivant les mises à nu, les intimidations et les brutalités commises ainsi que des propos ouvertement racistes et insultants.
Les personnes vulnérables à qui ces traitements sont administrés ne sont que très rarement en mesure de les dénoncer et encore moins de porter plainte. Pourtant, là aussi, il semble qu’il s’agisse de pratiques récurrentes jamais remises en question.
Un témoignage parmi d’autres à ce sujet, est très révélateur et lève un voile sur le traitement inacceptable infligé dans les locaux policiers de l’aéroport. Lors d’une demande d’asile à Bruxelles-national en octobre 2021 cette personne a vu sa demande rejetée. Elle fut enfermée au centre de transit Caricole (à côté de l’aéroport) et une expulsion organisée. Lors de sa deuxième tentative elle fut obligée de se déshabiller totalement au commissariat. Ce monsieur en fait un malaise et reste inconscient pendant une heure [sans soins, NDLR]. Bien que fort imparfaite, nous reprenons la traduction de son témoignage à partir du perse.
« Bonjour, j’ai été emmené à l’aéroport aujourd’hui [22 octobre 2021] pour être envoyé à la police. A l’aéroport, j’ai eu une crise d’épilepsie due au stress […], je me sens toujours mal […] J’ai été renvoyé au centre. Ils ont fait une inspection [fouille, NDLR] terrible. Ils ont mis en cause l’être et l’humanité, aujourd’hui j’ai vu le déclin de l’humanité en Europe à l’égard d’une personne opprimée« .
Nous devons le constater, le système tel qu’il fonctionne actuellement ne semble pas faire des progrès du point de vue des comportements de certain.es policier.ères, de leur hiérarchie, des bourgmestres qui poursuivent les éloges de leurs forces de l’ordre ni même des pouvoirs judiciaires qui persévèrent dans leur tendance aux non-lieux.
En guise de conclusion, et même si la période des vœux est largement passée, toute l’équipe de l’Observatoire des violences policières en Belgique (et ailleurs) vous souhaite une belle année pleine de luttes, de fraternité, de manifestations chaleureuses et toujours plus nécessaires, d’unité et de succès salués par une police bienveillante, bien intentionnée, bien encadrée et… toujours filmée !