L’audience prévue à 9h, débute à 9h30 (en raison d’un problème technique) par les répliques des parties civiles et du ministère public.
Me Benkhelifa estime que toutes sortes de questions secondaires sont venues parasiter le débat et empêcher de répondre à la seule vraie question, celle de la qualification juridique du tir policier. Le fait d’avoir sorti son arme, de l’avoir chargée et d’avoir tiré détermine le caractère volontaire du tir. Quant à l’intention homicide, tirer sur une camionnette pleine de gens est un dol suffisant que pour parler d’homicide volontaire. Et notre « confort » procédural ne suffit pas pour ne pas retenir la qualification exacte des faits afin d’en terminer avec l’impunité liée aux violences policières.
L’avocate générale conteste le fait que le policier n’avait pas d’autre possibilité que de se servir de son arme. Le recours à l’usage de celle-ci est par ailleurs strictement limité et n’est possible qu’en cas d’absolue nécessité. Elle conteste également avoir choisi une qualification des faits pour tenter d’éviter une cour d’assises et soutient que si elle avait été convaincue, même d’un dol éventuel, ce dossier aurait pris un tout autre cours. Mais dans le cas d’espèce, la version donnée par le policier et corroborée par les experts, aboutit à un tir accidentel
Me Kennes répliquera ensuite pour défendre son client, rappeler que si on retient la première partie d’une de ses déclarations (selon laquelle il dit savoir qu’il y avait des migrants dans la camionnette), il faut aussi retenir la suite de celle-ci (selon laquelle il pensait avoir à faire à des voleurs). Il souligne ensuite que les parties civiles ont formulé des griefs qui ne sont pas imputables à son client (notamment quant aux conditions de l’arrestation), qu’il ne voit pas le lien entre les policiers et le ministère public, donnant ainsi l’impression, au-dehors, que le système s’auto-protège. Il ira même jusqu’à parler de populisme pour qualifier l’intervention de Me Benkhelifa. Enfin, pour lui, la question n’est pas de savoir s’il devait avoir conscience du risque létal de son geste mais bien s’il avait l’intention de donner la mort ou de blesser. Il poursuit sur ce qui est dit aux policiers aujourd’hui lors de leur formation sur l’usage d’une arme à feu pendant une poursuite et de la possibilité de tenter de faire arrêter un véhicule en tirant dans ses pneus. Pour conclure, avant de céder la parole à son client, que « c’est toujours le petit qu’on spotche ».
Le policier s’avance alors, une feuille à la main, et lit un texte dont voici quelques extraits : « Si j’avais le pouvoir de remonter le temps… Je sais qu’il est parfois difficile de pardonner. La mort d’un enfant, c’est insupportable…. Je peux vous jurer : jamais je n’ai voulu ce qui s’est passé, jamais » S’adressant au tribunal : « Je ne sais pas ce que sera votre décision ni ce que sera notre avenir. Mais je sais que toute ma vie, j’ai toujours essayé de faire de mon mieux et d’aimer les gens. Pour faire le métier que je fais, il faut aimer les gens. J’ajouterai qu’il est plus compliqué d’aimer que de se faire aimer ». S’adressant aux parents de Mawda : « Je vous souhaite malgré ce drame de trouver le bonheur en Belgique. Ce pays a accueilli ma famille il y a des années et pour le remercier, j’ai décidé de prendre la nationalité belge. Je réitère mes plus sincères regrets. Merci de m’avoir écouté ». La maman de Mawda quitte la salle, en larmes.
Après une suspension d’audience, celle-ci reprend avec la plaidoirie de Me Discepoli pour le convoyeur. Il demande à plaider d’une seule traite et de faire traduire 2 pages remises aux interprètes et reprenant l’ensemble de son argumentation factuelle et juridique. Il souligne que quand il y a un naufrage, le passeur fait figure de coupable idéal. Il reprochera au ministère public de s’appuyer, pour reconnaître en son client le passeur, sur un témoignage anonyme, ce qui est contraire à l’article 189 du Code d’Instruction Criminelle et signale qu’il pourrait déjà arrêter de plaider.
En effet, la condamnation d’une personne ne peut être obtenue de manière exclusive ou à tout le moins déterminante par un témoignage anonyme mais doit être corroborée par d’autreS preuveS (au moins 2). Il retrace pourtant le phénomène de criminalisation du passeur, datant de 1995 (et le passage possible sous la Manche) et introduit par une loi de 1995 dans l’art. 77bis de la loi de 1980.
Il rappelle que son client est déjà poursuivi à Liège pour ces faits et qu’à Liège la veille et à Mons aujourd’hui, il est poursuivi avec la circonstance aggravante de mort. Il avait plaidé la jonction des causes en chambre du conseil, sans succès. Trois niveaux de parquet sont de ce fait concernés pour un même dossier (le procureur du roi et l’avocate générale à Mons et le parquet fédéral à Liège) alors qu’il y a manifestement un lien entre les 2 dossiers. Mais qu’il y a toute une série de choses que nous ne connaissons pas (la balise sous la camionnette par exemple relève d’un dossier du nord du pays). Il dira encore qu’aucun témoignage ne vient confirmer le fait que son client aurait donné des ordres au chauffeur.
Il relèvera enfin des défauts de procédure pouvant entraîner la nullité des débats…laissant entendre par là qu’il ira jusqu’en cassation s’il le faut…Après avoir encore développé l’un ou l’autre argument (relatifs à des panels photographiques, des témoignages du témoin anonyme divergents à une année d’intervalle, etc), il finira par demander au tribunal une décision d’ACQUITTEMENT, au bénéfice du doute, même si pour lui il n’y a pas de doute. L’audience de la matinée se termine ainsi.
A 13:45, elle reprend avec les plaidoiries des 2 avocats du chauffeur. Me Gillis d’abord plaidera, d’une traite lui aussi, sur les faits et les PV qui sont dans le dossier, soulignant que dans ce dossier il n’y a que des perdants et demandant d’emblée et à toute force l’acquittement de son client pour les préventions A et B. Il l’a rencontré dans sa prison au sud de Londres en février 2019. Dans ce dossier, plus de 15 personnes ont soit dit que le chauffeur était quelqu’un d’autre, soit que ce n’était pas lui ou que le chauffeur a pris la fuite. Il s’attardera ensuite longuement à démonter les charges pesant sur son client, dans une langue qui n’est pas la sienne (ce qui risque de desservir son client).
Après une nouvelle suspension d’audience, Me De Beco plaide. Factuellement, il a été prouvé par la plaidoirie de Me Gillis que leur client n’était pas le chauffeur. Juridiquement, il aurait fallu que la mort de Mawda, pour constituer une circonstance aggravante à l’entrave méchante à la circulation résulte du fait même de celle-ci. Or, c’est le tir du policier qui a entraîné la mort de la petite. Le procureur du roi en prend pour son grade… D’autant que l’avocat rappelle que le dossier des passeurs sera réglé à Liège. Et demande de considérer que pour entrave méchante à la circulation, 2 ans 1/2, cela suffit.
S’ensuivront de nouvelles répliques par rapport aux plaidoiries des avocats de la défense. Avec de nouveau Me Benkhelifa pour les parties civiles qui demande une requalification (la mort de la petite est le fait du tir policier), un dommage par rapport à l’entrave méchante à la circulation (surtout pour l’enfant de 4 ans – le frère de Mawda), regrette que ces faits soient séparés entre Liège et Mons et soulignent que ses clients ne reconnaissent pas ces personnes et que c’est donc au tribunal de dire si elles sont coupables ou pas.
L’avocate générale dira que si les dossiers ont été séparés, c’était pour ne pas se retrouver avec un dossier mammouth dès lors qu’un dossier pour trafic d’êtres humains devait être envisagé et que c’est un hasard si les 2 dossiers trouvent leur épilogue simultanément. Il ressort des devoirs d’enquête que la balise a été posée par les autorités françaises et qu’un seul policier belge en avait connaissance. Elle conclut en disant que cette balise n’a aucune incidence sur les faits. Elle rappelle enfin les éléments sur lesquels elle s’est appuyée pour démontrer que la culpabilité du convoyeur ne provient pas de manière déterminante du témoignage anonyme (ADN, compte Facebook, etc). Par rapport au chauffeur, s’il est vrai qu’aucun des migrants n’a pu donner l’identité de celui-ci, c’est, selon elle, parce qu’ils avaient peur pour la sécurité des familles restées au pays et que leur volonté était de passer en Angleterre. Le témoin anonyme était donc la seule solution pour pouvoir glaner quelques informations un peu plus précises. Enfin, il résulte d’une manière claire que toute fuite était matériellement impossible. Le conducteur et le convoyeur se trouvaient donc bien à bord au moment de l’interpellation. Et l’ADN du premier est retrouvée sur le volant, ce qui démontre qu’il était bien à l’avant de la camionnette et qu’il était le chauffeur de celle-ci. Elle terminera en disant être la première à regretter la longueur de la détention préventive
Le procureur du roi essaiera tant bien que mal de démonter le fait qu’il a été dit que si le tribunal suit le réquisitoire du ministère public, le jugement serait cassé par la cour de cassation, s’appuyant cette fois non plus sur la doctrine mais sur la jurisprudence.
Mes Discepoli, Gillis et De Beco pourront alors de nouveau répliquer brièvement avant que le procès n’arrive tout doucement à son terme.
Et que le mépris du tribunal ne se donne à voir dans toute sa splendeur !
La parole est en effet donnée aux accusés, pour savoir s’ils confirment le fait que leurs conseils aient demandé un acquittement et, à titre subsidiaire, une application clémente de la loi pénale. La parole leur est ensuite, logiquement donnée. Le chauffeur commencera par dire ; « J’ai beaucoup de choses à dire ». Avant que la présidente lui demande de ne pas répéter ce que ses conseils ont déjà dit. Il parlera ensuite 5 bonnes minutes pour expliquer qu’ils ont été traités de manière inhumaine, pourquoi il a quitté son pays avec sa femme enceinte, qu’il a perdu la trace de celle-ci en Turquie fin 2015 et qu’il a continué son voyage, seul. La présidente l’interrompt de nouveau pour lui demander de revenir sur les faits qui lui sont reprochés. Elle décidera même d’une suspension d’audience de 5 minutes, lui refusant de poursuivre 2 ou 3 minutes sur les circonstances de la perte de sa femme.
Quand il reviendra à la barre, il dira encore ces quelques phrases : « Je vais essayer d’être bref et de ne pas perdre votre temps. Je suis arrivé en France, désespéré. J’ai rencontré des personnes qui ont promis de chercher mon épouse et de passer en Angleterre. Je devais préparer du riz pour eux. Je voulais vous expliquer comment j’ai atterri dans ce milieu. Je suis coiffeur de profession. Cela fait 12 mois que je coupe les cheveux de mes compagnons de cellule. Je voulais que vous sachiez que je suis quelqu’un qui a beaucoup de rêves. Pour le reste, mes avocats ont tout dit. Je remercie mes avocats et vous aussi Mme la présidente. J’espère que vous me donnerez une chance ».
Le convoyeur aura ensuite ces mots : « Naturellement, je marque mon accord sur ce que mon avocat a plaidé. Je n’ai pas grand-chose à dire non plus. Je veux exprimer mes tristes sentiments par rapport à ce qui s’est passé ce jour-là. Croyez-moi, Mme la présidente, ce soir-là, après ce que nous avons vécu, je n’oublierai jamais cela de ma vie. Je suis tout simplement une personne illégale [sic]. Je n’ai rien à voir avec le trafic d’êtres humains. Et je ne le ferai jamais. »
près avoir reproposé une dernière fois au policier une prise de parole, la présidente annoncera que le jugement sera rendu le VENDREDI 12 FÉVRIER 2021 A 13H.