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Edito

19.08.2020 – Décès d’un passager après une arrestation policière à l’aéroport de Charleroi: l’enquête toujours en cours

Jozef Chovanec est décédé en février 2018 à l’hôpital après plusieurs jours de coma. Selon sa famille, il aurait subi des violences policières lors de son interpellation, le 23 février 2018, sur le tarmac de l’aéroport de Charleroi.

On lui avait refusé l’embarquement dans un avion en direction de Bratislava parce qu’il « se montrait turbulent« . Profondément perturbé par son enfermement après s’être rebellé, les caméras de surveillance le montraient se frappant violemment la tête contre les murs. Il a subi un arrêt cardiaque, sombré dans un coma avant de perdre la vie.

Une enquête avait été ouverte. Les proches de la victime s’étaient constitués partie civile devant un juge d’instruction de Charleroi. Selon Het Laatse Nieuws, la victime aurait subi des violences policières et le comportement de certains des policiers intervenus auprès de la victime poserait problème.

« Sur les photos, on voit une policière mimer un salut hitlérien et d’autres policiers rire. Un des policiers se trouvait appuyé sur la victime pendant plusieurs minutes« , a détaillé Ann Van de Steen, avocate des proches, qui réclame par ailleurs la désignation d’un nouveau juge d’instruction.

Images Police

Deux ans après les faits, les proches de la victime se plaignent de la lenteur des investigations. D’après le parquet, la crise sanitaire du coronavirus a retardé certains devoirs complémentaires. « Les proches de la victime ont sollicité, à deux reprises, des devoirs complémentaires concernant l’audition de plusieurs personnes et une expertise médico-légale. La dernière requête remonte au mois de février dernier. Mais avec la crise du covid-19, il y a eu un retard. Tous les policiers impliqués dans l’intervention policière ont été auditionnés« , dixit le parquet de Charleroi.

Plusieurs interrogations s’imposent à la lecture des faits révélés par la presse :

  • Pour quelle raison un passager, certes remuant mais dont le billet d’avion est dans sa poche, se voit-il emmené par la police et placé seul dans une cellule ? Ceci correspond-il à une démarche normale et réglementaire des forces de l’ordre qui enferment des passagers, même remuants, sans lui permettre d’en informer la famille ? Visiblement sans lui indiquer la durée de sont enfermement ? Sans visite d’un médecin qui pourrait juger de l’état de santé de la personne ?
  • Si une personne se blesse, même de manière volontaire en se frappant la tête contre une porte (ou un mur), la chose évidente à faire ne serait-elle pas de faire appel à un médecin pour vérifier l’état de santé de la personne ? Est-elle sous l’effet de drogues ? Si tel était le cas, cette personne ne devrait-elle pas être emmenée d’urgence à l’hôpital pour vérifier de quoi il s’agit ? Le fait d’être remuant à l’embarquement d’un avion serait donc dans notre pays une raison suffisante de ne pas porter assistance à personne en danger ?
  • Donc cette personne étant blessée doit, d’après les estimations des forces de l’ordre, être entravée, mais pas n’importe comment ! Admettons-qu’ils craignent pour leur personne, à deux, entraver un homme devrait pouvoir se faire sans trop de heurts et dans le respect humain le plus élémentaire. Rappelons que cette personne est blessée, peu importe l’origine de ses blessures. Ici ils s’y mettent à plusieurs, s’acharnent sur une personne en position vulnérable, seule, maîtrisée puisque entravée ; cela ne pose aucun problème à l’ensemble des forces de l’ordre présentes.
  • Est-il réglementaire et prévu que six personnes s’acharnent (nous répétons) sur une personne entravée ? L’une se complaît à considérer le passager blessé comme un matelas pneumatique à vider de son air en s’y appuyant 16 minutes, apprenons-nous. Les « collègues » (ce terme nous est particulièrement problématique lorsqu’utilisé par les forces de police, étant donné l’omerta et la protection qu’elles se permettent entre eux-elles), non seulement n’agissent pas en protégeant la personne blessée entravée dans une position dangereuse, au contraire elles se ruent également vers cet être entre temps recouvert d’une couverture. Il n’est plus un être humains, il est un paquet, une couverture se jette souvent sur les morts…
  • Peu importe pour les policiers, qui poursuivent « l’intervention » en rigolant, c’est si drôle effectivement de se trouver à six autour d’un corps inerte. Tellement drôle qu’on se permet d’agrémenter la scène d’un salut hitlérien… Rappelons ce que ce geste signifie. Il ne s’agit pas d’une farce, il s’agit d’un le salut fasciste exécuté par le bras et la main droite tendus !
  • Heureusement, la hiérarchie veille : la porte-parole de la police fédérale ose en toute quiétude nous tranquilliser en nous informant que la police « a pris connaissance de ces images dans la presse« , (sic, on ne s’étonne plus que l’enquête piétine…). « Bien entendu, une enquête disciplinaire aura lieu en interne pour déterminer ce qui s’est passé. » Mieux vaut tard que jamais ? Et pour nous calmer de façon définitive, deux ans plus tard « cette collègue ne sera plus en service. » Les syndicats nous informent eux qu’il s’agirait d’une « jeune collègue« . C’est vrai que cela fait toute la différence, et nous voilà rassuré.e.s !

Si nous nous permettons ci-dessus de poser et questionner de cette façon c’est parce que nous sommes outrés, dégoûté.e.s, choqué.e..s et plus de ce qui heureusement pour une fois sort dans le sphère publique. Il y eut aussi Jonathan Jacob à Anvers, ne l’oublions pas… Où en est l’enquête ? Que dire de ces agissements incontrôlés, non « enquêtés« , et pourquoi ne seraient-ce que ces « enquêtes » devraient-elles rester  « internes » ? Le fait de torturer serait donc acceptable quand exécuté par les forces de l’ordre ?

L‘article 53 de la Convention de Vienne1 précise :

Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général […] aucune dérogation n’est permise et elle ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. Ainsi, la conséquence la plus manifeste en est que les États ne peuvent déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative. […] Clairement, la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture rend compte de l’idée que celle-ci est désormais l’une des normes les plus fondamentales de la communauté internationale […]

En outre, il s’agit là d’une valeur absolue que nul ne peut transgresser« , selon Olivier de Schutter (International Human Rights Law. Cases, materials, commentary, 2ème éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2014, pp. 71 et s.)

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise que l’État a dans le cadre des disposition légales internationales, une obligation positive d’adopter des mesures propres à mettre en œuvre la réalisation du droit garanti par la combinaison des articles 3 et 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette obligation vise à protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté – qu’elles soient placées en rétention administrative, en garde à vue ou détenues en prison, dès lors qu’elles se trouvent en situation de vulnérabilité.

Dans l’affaire Jozef Chovanec , l’État belge a-t-il répondu à ses obligations ?

Le ministre De Crem ne devra pas se contenter de dénoncer « une violence disproportionnée« , il lui faut agir, et vite ! Aux USA, une énorme partie de la population et de la presse se sont offusqués de la mort de George Floyd, l’Europe a suivi, des manifestations importantes et des voix de révolte se sont fait entendre. En sera-t-il de même ici en Belgique face à une situation somme toute fort similaire ?

Sources : Belga, Het Laatse Nieuws, Sudinfo, Metro, La Libre Belgique, RTBF]