Les 23 et 24 novembre dernier s’est tenu le procès à Mons. ObsPol a pu assister aux audiences. Récit.
La famille de la petite fille kurde est soutenue par de nombreux collectifs qui militent contre les violences policières et le racisme. De nombreuses personnalités ont manifesté leur soutien, en Belgique ainsi David Murgia et Yannick Renier ou encore Thomas Lavachery, comme à l’étranger, parmi lesquels le réalisateur britannique Ken Loach ou encore le bassiste du groupe Pink Floyd, Roger Waters.
Après avoir été repoussé de plusieurs semaines à cause de la crise du coronavirus, le procès « Mawda » s’est ouvert lundi 23 novembre 2020 à Mons.
Seul un nombre très limité de personnes (8 !) a accès à la salle d’audience en raison de la crise Covid, et le théâtre qui montre le procès en streaming n’est accessible qu’aux journalistes. Il est strictement interdit à toute personne du public. La présidente précise que la limitation est faite en raison dues règles Covid et que l’affaire est gérée par le Parquet général, celui-là même qui avait donné des informations erronées lors de la mort de Mawda. La publicité des débats s’en trouve dès lors sérieusement restreinte.
Trois personnes se retrouvent sur le banc des prévenus. Victor-Manuel Jacinto Goncalves, le policier ayant tiré avec son arme de service est poursuivi pour homicide involontaire par défaut de précaution. Le conducteur présumé de la camionnette ainsi que le passeur présumé doivent répondre des chefs d’entrave méchante à la circulation avec circonstance de mort et rébellion armée, détenus depuis plusieurs mois et à qui il n’avait même pas été permis de se présenter correctement au tribunal mais en pantoufles. Ils ont d’ailleurs dénoncé ceci tout comme leurs conditions déplorables de détention ne leur permettant pas de se doucher ou de voir un médecin.
Le policier, libre lui, est défendu par Me Laurent Kennes.
Le chauffeur de la camionnette est défendu par Me Dimitri de Béco (Barreau de Bruxelles) et Me Thomas Gillis (Barreau de Gand) et le convoyeur, considéré comme le passeur, défendu par Me Frank Discepoli (Barreau de Mons).
Le SPF Intérieur est aussi représenté lors du procès au cours duquel il sera aussi posée la question de la formation des policiers dans le cadre des opérations « Médusa« .
Les parties civiles, avaient demandé une requalification en meurtre pour renvoyer ce dossier devant les Assises, mais cette demande n’a pas été suivie par la Chambre du Conseil. Elles sont défendues par Me Selma Benkhelifa (Barreau de Bruxelles), Me Loïca Lambert et Me Olivier Stein.
Les faits en bref
Les faits se déroulent dans la nuit du 16 au 17 mai 2018. Une camionnette transportant 28 migrants file sur l’autoroute E42 en direction de la France à 100 km/h. La camionnette est poursuivie par quatre voitures de police de Namur. Une cinquième voiture de police des autoroutes venue de Mons s’ajoute à la course-poursuite. Il est 2:00 du matin. Deux minutes plus tard, un coup de feu est tiré et blesse mortellement la petite Mawda.
[Écouter aussi l’analyse de l’affaire par Michel Bouffioux, journaliste, et Selma Benkhelifa,dans le Podcast de La Diaspora chuchote]
Le déroulement de l’audience
En première partie ce sont les deux experts qui sont auditionnés.
Le médecin légiste bruxellois qui avait procédé à l’autopsie de la fillette âgée de deux ans, tuée d’un coup de feu. Selon son dernier rapport, l’enfant se trouvait à l’avant de la camionnette, ce qui est contesté par les parents.
L’expert balistique explique qu’un tir par réflexe ou par crispation « est possible« , compte tenu de la pression qui doit être exercée sur la détente. À la suite d’une question des avocats des parties civiles il devient hésitant et précise qu’une arme de ce type avec la force nécessaire à la détente, soit 28 newton (équivalant à 3 kg) et un déplacement de la gâchette de presque un centimètre a pour vocation d’éviter un tir accidentel. « Le tir accidentel est difficile, mais cela reste une possibilité. Un tir par réflexe ou par crispation est plausible. » Donc aucune certitude possible.
Interrogés par la présidente, les deux inculpés irakiens, affirment ne pas s’être trouvés à l’avant de la camionnette. La présidente Marie Sheila Bastiaans a commencé par interroger le plus jeune des Irakiens considéré comme le chauffeur de la camionnette, lequel maintient ses déclarations faites précédemment durant l’enquête. Elle lui a signalé que son ADN avait été retrouvé sur des mégots de cigarette abandonnés sur le plancher de la camionnette. Ces mégots se trouvaient à l’avant alors qu’il a déclaré qu’il se trouvait à l’arrière du véhicule (!). « J’ai fumé ces cigarettes mais je ne sais pas si elles ont été déplacées ou pas« .
Un foulard portant son empreinte génétique a également été retrouvé à l’avant de ce véhicule. « Je ne me souviens plus, il se peut que je portais un foulard. Je sais qu’il faisait chaud et j’ai enlevé mon pull. Cela remonte à deux ans. Je ne sais plus« , a-t-il répondu.
Sur le compte FB de l’autre ressortissant irakien âgé de 27 ans, il y avait une vidéo montrant le trajet de la camionnette. Il ne conteste pas les faits et ajoute que les trafiquants lui ont demandé, depuis l’Allemagne, d’acheter une camionnette et de se rendre vers la jungle de Calais. Il conteste avoir été le convoyeur de cette camionnette lors de la course-poursuite avec la police. Lui aussi déclare qu’il se trouvait à l’arrière de la camionnette. Il dit qu’il a demandé au chauffeur de s’arrêter mais ce dernier ne l’a pas écouté.
Les détails mis en avant par les questions semblent bien vains par rapport au drame.
Vient ensuite l’audition de Monsieur Jacinto Goncalves le policier qui a tiré et tué Mawda.
Il déclare avant son audition qu’il est « policier, mais je suis aussi un homme et un papa avec des sentiments. La mort de Mawda m’a effondré. Je garderai toujours cette image « .
Ensuite il insiste sur le fait qu’il n’aurait pas eu connaissance de la présence d’enfants dans la camionnette et ajoute « Si je l’avais su, je n’aurais jamais sorti mon arme de mon étui « . Ceci confirme par ailleurs le fait qu’il savait bien ce qu’il faisait en sortant son arme.
De plus il admet que » Lors de ma formation à l’académie de police en 2008, il nous était déconseillé de tirer dans les pneus d’un véhicule en mouvement, mais je me suis dit que j’allais essayer, je n’avais pas d’autre choix « .
De quel choix parle-t-il donc ?
Il ajoute : « J’ai tiré une fois par accident « . ce qui semble étonnant par rapport aux déclarations des experts. « Un coup de feu accidentel paraît difficile avec ce genre d’arme car il faut faire déplacer la détente sur une distance de 8,4 mm et une force de 28 Newtons » déclarait l’expert en balistique.
L’avocate générale lui demande s’il a pensé à la possibilité que le pneu éclate suite au tir : « […] Moi mon but était de dégonfler ce pneu pour arrêter la camionnette car elle avait une conduite dangereuse« .
Est-ce uniquement parce qu’elle avait une conduite dangereuse ou la conduite dangereuse était-elle induite par la poursuite des véhicules de police ?
Quand avez-vous appris que vous aviez mortellement touché un enfant, lui demande la présidente ? : « Le lendemain matin, à 7:00. Je suis tombé des nues. Au début, on m’avait dit : « Tu n’es pas en cause, c’est un traumatisme crânien« ». Ce qui signifie qu’il savait qu’il y avait une enfant blessée.
Selon l’avocate Selma Benkhelifa, le policier est contredit par son coéquipier. « Il dit qu’il aurait chambré l’arme dans un second temps alors que son coéquipier dit qu’il a pris la décision de chambrer son arme presque immédiatement« . Quelques secondes après le tir, la camionnette s’est immobilisée sur un parking. À l’ouverture de la porte latérale le papa de Mawda a montré son enfant couvert de sang. « La maman a raconté que les policiers étaient armés et les menaçaient de faire un pas de plus en avant, comme si nous étions des terroristes », dira-t-elle.
« Lors de la course-poursuite, ils étaient tous debout dans la camionnette, ils criaient, ils avaient peur. Quelqu’un a cassé la vitre arrière et a jeté un sac de couchage vers les policiers afin de ralentir leur progression. Un policier a ordonné à ses collègues de ralentir en raison de la présence d’enfants« , explique l’avocate. Le policier tireur se trouvait sur le siège passager. « Il a chargé son arme, l’a sortie et il a tiré. Cela s’est passé extrêmement vite, entre 2:01 et 2:02:37. Contrairement aux policiers de Namur, il n’était pas stressé par une longue course-poursuite. Il savait qu’il y avait des migrants, dont des enfants […]«
La première journée a donc vu se confronter deux versions des faits. D’un côté pour la défense du policier, une présentation des faits qui aurait conduit celui-ci à brandir son arme sans savoir qu’un enfant était à bord et pour tenter d’arrêter la course d’une camionnette devenue dangereuse pour les autres usagers. De l’autre, une version qui a mis en évidence un contexte systémique d’une police instrumentalisée par le pouvoir politique dans laquelle ce policier a pris des libertés avec les règles qui lui ont pourtant été enseignées à l’académie de police, au risque de blesser ou de tuer des innocents.
Au deuxième jour du procès, Shamden Shawi, le papa de Mawda, a souhaité s’exprimer devant la cour. « Deux ans après, je n’ai rien oublié », dit-il. « C’est comme si j’y étais encore. Dans la camionnette, il y avait de nombreuses autres personnes, dont une autre famille avec enfants. Mawda était dans les bras de sa maman et mon autre enfant dans mes bras. Mawda se trouvait derrière le chauffeur. Moi, près de la porte, mon fils près de moi. Mawda s’est toujours trouvée avec sa maman. Nous ne l’avons jamais confiée à quelqu’un d’autre. C’est l’autre famille qui a exhibé ses enfants par la fenêtre à la police, pas nous. »
Et Shamden Shawi décrit ensuite de manière claire et critique la façon dont les policiers les traités une fois la camionnette immobilisée sur le parking de Maisières. « Avec mon épouse, nous sommes sortis les derniers de la camionnette », explique-t-il. « En sortant, j’ai repris Mawda des bras de sa maman. Il y avait une fontaine de sang. J’étais choqué. J’ai crié en demandant une ambulance mais les agents de police n’étaient pas polis avec nous. Ils m’ont repris Mawda et m’ont agressé dans le dos et dans la partie basse de mon corps. J’ai crié « ambulance ! » « ambulance ! », je n’ai pas de mots pour décrire cette situation. Ils nous ont traités de manière inhumaine. Quand l’ambulance est arrivée, ils ne nous ont pas laissé accompagner notre fille. L’ambulance est arrivée très tardivement les policiers m’ont immobilisé à deux, je n’ai pas pu aller dans l’ambulance. »
Il relate ensuite le moment où le policier a tiré en direction de la camionnette. « J’ai vu quand le policier a pris son arme. Il a tiré vers nous sans hésitation et sans perdre de temps. Je l’ai vu tirer une seule fois et ça a touché ma fille. Depuis lors, nous sommes traumatisés. Quand mon fils voit un policier en rue, il pleure. Mon épouse n’est plus normale et moi non plus. »
Et pire encore comme si cela n’avait pas été assez dramatique il rappelle que « Après que Mawda soit partie avec l’ambulance, nous n’avons plus pu la voir. Nous ne l’avons revue qu’après l’autopsie. Elle n’était plus dans un état normal. Ça n’est pas humain ».
La maman de Mawda souhaite elle aussi parler mais il lui faut quelques instants avant de pouvoir le faire car submergée d’émotion. Perhast Amer commence en disant « Ça fait 2 ans 6 mois 2 jours et 8 heures depuis l’incident« . Elle précise clairement que « la police a agressé mon mari après avoir jeté Mawda par terre. C’est totalement inhumain la manière dont la police nous a traités. Mon mari et moi étions couverts de sang, mon mari a crié, tâchant de demander une ambulance en urgence, ils savaient qu’on a tiré. Nous n’avons pas été aidés, ils ont pris Mawda et jetée par terre et à deux ont agressé mon mari. Je voudrais que vous entendiez les occupants de la camionnette sur la manière dont la police nous traitait et leur demander ce qu’ils ont vu même si c‘étaient des trafiquants, ils peuvent témoigner car ils ont tout vu. […] Je voulais aller dans l’ambulance mais une policière m’a tirée par les cheveux et traînée hors de l’ambulance. Comment peut-on être si inhumain? Même si c’étaient des terroristes, ce n’est pas un manière de vous traiter !»
Ensuite, s’adressant en larmes, directement au policier Jacinto Goncalves : « Vous et vos avocats avez déjà suffisamment parlé, M. Jacinto dit qu’il a des sentiments en tant que père. Moi aussi en tant que mère. Ce soir-là, Mawda avait faim. Je lui ai préparé du lait. Ça fait deux ans que je le conserve. Je l’ai toujours avec moi. Le chiffon que vous voyez, elle l’avait toujours avec elle. Je peux toujours la sentir grâce à cet essuie. » La maman montre ensuite une mèche de cheveux ensanglantés de Mawda. « Même s’il n’y avait pas eu d’enfants dans la camionnette, pourquoi avez-vous tiré ? Comment vous sentez-vous si vous ne voyez pas vos enfants pendant une journée ? J’ai du respect pour la police et son travail mais je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. S’ils ont commis des erreurs, il faut que le monde le sache. Idem si j’ai fait quelque chose de mal. Il est impossible qu’il n’ait pas vu les enfants. […] Il savait qu’il y a quelqu’un qui conduit la camionnette, sa vie n’a-t-elle pas de valeur? Il n’est pas normal de traiter les gens comme ça ! Je répète que ma fille a toujours été dans mes bras« .
Mme Godart, avocate générale prend la parole et évoque le contexte :
« Une fois la camionnette des passeurs immobilisée sur un parking, les 27 migrants ont été sévèrement gardés car les policiers pensaient que le coup de feu avait été tiré au départ de la camionnette. L’agent ayant fait feu ne s’était, en effet, pas encore signalé comme étant le tireur. Mawda était morte. »
Dans son réquisitoire, l’avocate générale estime que le policier n’a pas mesuré les conséquences de son tir alors qu’il savait qu’au moins un enfant se trouvait à bord de la camionnette. Elle déplore aussi le fait qu’il n’assume pas ses responsabilités.
Elle rappelle que la police de la route de Namur a voulu contrôler la camionnette car elle arborait de fausses plaques et ses occupants avaient des comportements suspects. « Ils ont pris la fuite et ont été pris en chasse par la police. […] La conduite est dangereuse. Des enfants sont exhibés. Ces informations sont diffusées par radio par la police. Près de Mons, la police de la route locale prend le relais. L’équipe de Jacinto Goncalves la prend en chasse. Le policier derrière le volant demande à la camionnette de ralentir, ce qu’elle fait, au point qu’elle se retrouve momentanément derrière le véhicule de police. […] La voiture du policier tireur se met à sa poursuite par la gauche. C’est alors qu‘il tire un coup de feu qui sera fatal à la petite Mawda bien qu’il avait l’intention de tirer dans un pneu. Le tir a été dévié à cause de manœuvres du policier au volant pour éviter des déports de la camionnette. Un peu plus loin, la camionnette empruntera la sortie de Nimy où elle terminera sa course en percutant un camion. »
27 personnes se trouvaient à bord de la camionnette. « Elles seront scrupuleusement surveillées par la police qui soupçonne que l’une d’entre elles porte l’arme qui a tiré le coup de feu car on ne sait pas encore que l’auteur en est Victor-Manuel Jacinto Goncalves« . Les 27 personnes sont ensuite amenées au commissariat et l’arme de service de M. Jacinto Goncalves. ainsi que ses deux chargeurs sont saisis.
« De manière étonnante, une douille sera retrouvée sur le tableau de bord de la voiture de M. Jacinto Goncalves, alors qu’elle aurait dû être éjectée du côté droit, donc vers l’arrière du véhicule », précise l’avocate générale. « Dans un premier temps, le médecin légiste va conclure à la mort de la fillette suite à un traumatisme crânien, peut-être dû à une chute car Mawda aurait été exhibée comme bélier par la fenêtre de la camionnette. J’ai beau chercher d’où vient cette information, je ne trouve pas. Si un officier de police a diffusé cette information erronée, il est hors de question de penser que la police a essayé volontairement de couvrir un policier et de faire porter le chapeau du drame uniquement par les migrants présents sur place. Suite à ces conclusions, le magistrat de garde demande donc la privation de liberté de l’ensemble des migrants. ».
Vers 18 heures le lendemain, la juge d’instruction apprend que Mawda est décédée suite à un tir balistique. Elle demande immédiatement à ce que l’arme de Victor Jacinto Goncalves soit à nouveau saisie. Car effectivement le lendemain à sa reprise de service M. Jacinto Goncalves, le policier tireur avait pu reprendre possession de son arme.
« Je constate que les directives relatives au dernier hommage aux victimes n’ont pas été respectées », déplore avec énergie Ingrid Godart.
Dans ses déclarations, le policier Jacinto Goncalves affirme que la communication avec les collègues de Namur était impossible. Il affirme ne jamais avoir entendu parler d’enfant et pensait avoir affaire à des migrants. « Or, dans sa première déposition, il évoque le fait qu’un enfant a été brandi par la fenêtre », précise l’avocate générale.
Comme son collègue lui conseille de le faire à un moment de la course-poursuite, Victor-Manuel Jacinto Goncalves sort son bras armé par la fenêtre et il tire. « Il affirme vouloir viser le pneu pour provoquer une crevaison lente même s’il sait que cette manœuvre n’est pas conseillée », rappelle l’avocate générale. « Le tir serait parti accidentellement car il aurait été déséquilibré. Il reconnaît n’avoir reçu aucun ordre de tir mais avoir agi car c’était proportionnel et nécessaire. Il ajoute qu’il n’aurait pas tiré s’il avait su qu’un enfant se trouvait à bord. »
« Le dossier démontre que l’échange d’informations n’a pas été optimal », reconnaît l’avocate générale. Mais le centre de communication affirme avoir rapporté l’intégralité des informations à l’équipe de Victor Jacinto Goncalves, dont la présence de migrants et le fait que des enfants ont été exhibés à plusieurs reprises. Il devait donc connaître la présence d’un enfant au moins. Il l’a d’ailleurs reconnu devant le Comité P lors de sa première audition même s’il l’a nié ce lundi devant le tribunal.
« Le collègue de Jacinto Goncalves lui a, à un moment, demandé de faire comme lui, à savoir sortir son arme par la fenêtre mais sans tirer« , explique l’avocate générale. « À aucun moment, il ne lui a dit de tirer. Or, il l’a fait en voulant viser le pneu. Contrairement à ce qu’il prétend, il n’a pas parlé spontanément de ce tir, c’est son collègue qui l’a fait. Or, c’est un élément essentiel au dossier qui aurait permis de prendre les bonnes décisions immédiatement. »
« Si l’inculpation de Victor-Manuel Jacinto Goncalves a été tardive, c’est uniquement parce que le dossier a nécessité nombre d’actes, d’expertises et de reconstitutions. […] Aucun élément ne permet de démontrer que le tireur était animé de l’intention de tuer ou qu’il avait conscience que son geste allait entraîner un décès. Par contre, la faute constitue un défaut manifeste de prudence et de prévoyance. Sa volonté de vouloir occasionner une crevaison lente n’est pas l’attitude que tout policier normalement constitué aurait adoptée. C’est une pratique proscrite, comme l’ont confirmé tous les policiers interrogés et comme il est censé le savoir. Il devait envisager que la situation allait déraper. C’était inéluctable. »
« […] C’est donc en connaissance de cause qu’il a pris les risques. »
Insistant sur le fait que le policier refuse de s’amender et se réfugie toujours derrière la faute d’autrui, l’avocate générale estime que Victor-Manuel Jacinto Goncalves refuse de reconnaître sa responsabilité dans le drame et manque de compassion et de dignité. Elle demande donc à son encontre une peine d’un an de prison avec sursis.
Quant au Procureur lui, après avoir longuement fait référence à la jurisprudence a réclamé dix ans et sept ans de prison ferme contre ceux qu’il considère comme le chauffeur et le passeur de la camionnette pour entrave méchante à la circulation avec pour conséquence la mort ainsi que la rébellion armée. Il estime que Jagrew D. et Rasol D.A. ont volontairement mis en danger la vie de Mawda et des autres migrants par leur comportement.
Pour M. Henry, c’est la manœuvre vers la gauche de la camionnette, repoussant ainsi la voiture de police, qui a fait en sorte qu’il y a eu coup de feu accidentel.
« C’est l’obstination de Jargew D. encouragée par les propos rageurs de Rasol D.A. qui aura été fatale à Mawda« , a estimé M. Henry. Ce dernier a motivé la peine plus sévère contre Jargew par son état de récidive.
L’avocate générale reconnaît être « parfaitement consciente de la douleur et de la colère qui est la vôtre« , en raison du peu de cas accordé aux 27 migrants qui n’ont pas bénéficié des égards dus aux victimes de la traite des êtres humains ainsi que le refus asséné aux parents de rendre hommage à leur fille avant l’autopsie et ce, malgré des directives claires. Elle a en outre critiqué le magistrat du parquet, qui n’est pas descendu sur place la nuit, « ce qui aurait pu éviter bien des égarements« .
Elle pointe aussi le médecin légiste, qui ne s’est pas rendu à l’hôpital, se limitant à un appel aux urgentistes qui n’ont pas vu la blessure par balles, si bien que ce n’est qu’avec retard que l’on a compris la cause de la mort de Mawda. Elle a assuré qu’elle veillerait à éviter de tels errements à l’avenir. Et de conclure, dans une critique à l’égard du politique, qu’elle craignait que de nombreuses questions soulevées par la famille devant le tribunal ne puissent y trouver des réponses car « elles dépassent de loin le cadre de cette enceinte et de cette procédure. Ce que je déplore et regrette, je vous en assure ».
Ensuite Me Kennes, avocat de M. Jacinto Goncalves commence sa plaidoirie alors que le réquisitoire reproche au policier son attitude lors de l’intervention mais aussi après celle-ci.
L’avocat brosse d’abord un portrait de la personnalité du policier afin de pouvoir nuancer par la suite. « Il a 46 ans au moment des faits, ce n’est pas un guerrier, il n’a jamais tiré sur personne. Il a juste appris à tirer sur des cibles. Il est marié et a un fils. […] Son métier n’est pas d’arrêter des migrants, mais d’arrêter des personnes qui roulent trop vite, qui ont un phare cassé, parfois il intervient sur des trafiquants de drogue ou des personnes qui se cachent dans des camions. […] On dirait presque que c’est devenu une vocation d’arrêter des migrants toute la journée. Ce n’est pas le cas même si c’est arrivé ».
« Le 16 mai 2018, le policier est monté dans une nouvelle voiture de police, très puissante, conduite par son collègue qui a trente ans d’expérience. […] La course se poursuit. Le collègue de l’auteur du tir saisit son arme tout en conduisant et il la montre au chauffeur qui ne s’arrête pas. Il y a du mouvement, la camionnette tente de percuter la voiture de police. […] Mon client ouvre la fenêtre, sort son arme, se penche en dehors de l’auto. […] En un millième de seconde, il réagit. Il charge son arme. Il agit par réflexe plutôt que par mûre réflexion. Il vise le pneu. La crevaison lente ! […] La camionnette donne un coup de volant vers la gauche. Le policier a une partie de son corps dehors, cherche à s’agripper à quelque chose, il relève son corps pour empêcher d’être emporté dehors. Sa main droite agrippe et se crispe. Et c’est plus que 28 newton.«
Démonstration pour la défense qu’il s’agit bien d’un tir involontaire, accidentel, ce qui du même coup sur le plan juridique tend à faire disparaître l’élément intentionnel au moins au moment du tir.
Sur l’intrigante question de l’attitude du policier après le tir, « À 7 heures du matin, il apprend et il n’en revient pas. Depuis, il porte le poids d’une culpabilité humaine, il se sent coupable. Non pas juridiquement, mais émotionnellement […] Il porte le poids d’une migration mal gérée en Belgique et en Europe. Un poids qui le dépasse et qui l’écrase depuis deux ans ».
« Nous parlons tous d’un drame humain, rendre la justice, c’est entendre que Jacinto Goncalves ne comparait pas en tenue de policier, mais en tant qu’être humain, issu de l’immigration portugaise, mari, papa et traumatisé par la mort de Mawda« . Il plaide l’acquittement ou à titre subsidiaire la suspension du prononcé.
Après Me Kennes, Me Ferron a pris la parole au nom de l’État belge, employeur du policier. « L’État interviendra de toute façon pour dédommager les parties civiles si le policier est condamné« , a déclaré l’avocat.
L’audience reprendra le 10 décembre avec les plaidoiries des avocats des deux détenus, poursuivis pour entrave méchante à la circulation, avec la circonstance aggravante de meurtre, et de rébellion armée.
- ObsPol
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