10 avril 2020, Anderlecht
19 ans. Mort fauché en scooter par une voiture de police
Pris en chasse par une patrouille de la zone de police Bruxelles-Midi sur la Place du Conseil parce qu’elles ne respectent les règles de distanciation sociale, deux personnes en scooter se séparent. Alors que son ami part dans une direction, Adil atteint le parking des abattoirs d’Anderlecht.
Des piquets bloquent l’entrée. Adil peut passer avec son scooter, pas la police, qui appelle des renforts. Adil aurait percuté la deuxième voiture de police qui arrivait en sens inverse alors qu’il dépassait une Mercedes Vito.
Le corps d’Adil a été retrouvé à une vingtaine de mètres du choc. Selon le journaliste du Morgen, il n’y aurait pas de traces de freinage sur le sol et l’expert de la circulation routière a constaté que le véhicule de la police avait dépassé de plus de 70 centimètres la bande centrale, ce qui prouverait que c’est bien la police qui a percuté Adil et non le contraire.
La version de la police
En août 2021, l’inspecteur Tassin (conducteur de la voiture-barrage) est promu inspecteur principal par le commissaire divisionnaire Jurgen De Landsheer, qui lui confie un poste de chef au sein d’un groupe d’intervention, le GIG3. En février 2023, changement d’affectation : police de la circulation, à la tête de jeunes recrues. Il ne s’agit pas d’une sanction disciplinaire, l’inspecteur principal n’est pas puni. Auprès de ses collègues, il se félicite de ce poste qui lui évite désormais de fatigantes missions de nuit.
Dans le magazine Investigation de la chaîne publique RTBF du 20 décembre 2023, le chef de zone Jurgen De Landsheer minimise les accusations de racisme à l’encontre de l’inspecteur principal Tassin, et se félicite de l’avoir déplacé vers un autre service :
« On m’a dit, écoute, ça va pas, il est lourd. Il est beauf. On est alors intervenu. Et finalement, on l’a déplacé et on n’a plus rien entendu. »
Face à lui, le journaliste s’étonne : « Donc, il est beauf, mais pas raciste ? »
« Non, pas raciste ! […] C’est le service où il y a le plus grand pourcentage de gens d’origine [étrangère] […] C’est la diversité de notre zone de police. Comme preuve qu’on a fait le bon choix, moi je vois qu’il y a actuellement aucun problème de fonctionnement de ce garçon avec ses collègues de toutes origines. Ça me rassure (sic) qu’on a pris la bonne décision. »
L’inspecteur principal Tassin exerce dans le même groupe d’intervention (avant sa mutation) qu’un autre policier qui a franchi la ligne rouge à plusieurs reprises au commissariat Démosthène : tabassage la même journée d’un jeune racisé et d’une personne sans papier le 31 mai 2020.
Le Parquet de Bruxelles a suivi l’appel des parents et a chargé un juge d’instruction d’enquêter du chef d’homicide involontaire, en ce qui concerne l’accident mortel survenu vendredi soir à Anderlecht.
Alexis Deswaef, l’avocat de la famille, qui s’est constituée partie civile : « L’affaire est maintenant entre les mains d’un juge d’instruction, qui mène l’enquête avec beaucoup plus de garanties d’indépendance.«
Le 4 mai 2023, une policière de la même zone de Police que les inculpés entendue par la juge d’instruction déclare :
« L’inspecteur principal a tenu des propos racistes par rapport au jeune Adil. Il m’est également revenu de ses hommes que ce dernier se vantait d’en avoir sorti un de la rue par rapport à la mort du jeune Adil. Il se serait également vanté d’avoir déjà tué. »
Elle a joint à ses déclarations un rapport administratif que plusieurs de ses collègues ont adressé au directeur opérationnel de la Zone Police Midi ainsi qu’au chef de corps Jurgen De Landsheer, dans lequel de graves accusations quant au comportement du policier qui a percuté Adil sont dénoncées :
« Nous mettons en avant le fait que l’inspecteur principal se montre dégradant et démotivant à l’encontre de nouveaux collègues débutant leur carrière au sein de notre zone de police. Ces derniers se sentent écrasés, évincés et sans aucune utilité depuis leur arrivée au sein de notre équipe, et ce, à cause de la pression qu’effectue le policier : menaces de note de fonctionnement non justifiées, menace de déplacement dans une autre équipe et/ou service ». […]
L’inspecteur principal fait preuve et a fait preuve à plusieurs reprises de comportements xénophobes, racistes et sexistes à l’encontre des membres de son équipe. Plusieurs remarques ou insultes racistes ont été proférées à l’encontre d’inspecteurs de police d’origine étrangère. Nous citons, et veuillez nous en excuser, des termes comme bougnoule, bouns, vous enculez des chèvres dans vos pays d’origine, je ne comprends pas que vous ne mangiez pas de porc. […]
[Le commissaire de police en charge des services d’intervention de la Zone de Police Midi] était au courant de la situation et a cautionné le comportement de l’inspecteur de police durant toute la durée de sa fonction au sein de notre unité. […]le contrat de confiance entre l’inspecteur et les membres de son équipe est totalement rompu. Nous sommes à bout de cette situation répétitive et infernale pour bon nombre de nos collègues ».
[Nous reproduisons ici un communiqué du Comité zone-midi contre les violences policières après la publication par Blast, la RTBF et Le Soir des conclusions du nouveau rapport]
« Breaking News : la thèse d’un accident remise en cause par une seconde expertise automobile ! Le parquet avait pourtant de façon complètement prématurée plaidé le non-lieu, alors que l’ensemble des devoirs complémentaires n’avaient pas encore été réalisés, blanchissant la police préventivement en passant par-dessus le droit de la famille d’Adil à un procès équitable.
En mai dernier, c’était un rapport administratif qui venait révéler les propos du policier qui a tué Adil et qui consistait à la fois en un aveu du crime et en une incitation au meurtre raciste (« J’en ai sorti un de la rue »). Aujourd’hui, c’est un second rapport d’expertise automobile qui vient défaire la mythomanie policière. Nous résumons ici les principaux enseignements de ce rapport :
- Les déclarations des policiers selon lesquelles la mobylette n’était pas éclairée et donc difficilement visible tombent. Le deuxième expert indique, lui, qu’il n’en est rien. Pour ce faire, il se base sur l’exploitation des caméras de surveillance, images qui font l’objet d’un procès-verbal de la police judiciaire fédérale qui n’a pas été consulté par le premier expert. « Nous constatons que les images en question démontrent que le cyclomoteur était éclairé tout au long de la course-poursuite. […] Nous notons (également) que le cyclomoteur était éclairé quelques courts instants avant d’être percuté par le véhicule de police banalisé« . Le deuxième expert ajoute : « Il se pose inévitablement la question de savoir pourquoi ce procès-verbal a été écarté par monsieur l’expert judiciaire Van Lierde. Serait-ce un simple oubli ? Serait-ce des suites d’une sous-évaluation de l’importance de ce document ? Ou serait-ce parce que les enregistrements vidéo démontrent que le cyclomoteur était correctement éclairé ?«
Deuxièmement élément : selon les procès-verbaux de la police, Adil Charrot aurait plié sa plaque alors qu’il tentait d’échapper au contrôle. « Les policiers restent cependant en défaut de décrire comment Adil Charrot aurait concrètement procédé« , indique le deuxième expert.
Troisièmement élément : le deuxième expert insiste également sur une omission qu’il estime troublante dans le chef du premier expert. Celle de la présence de casses-vitesse sur la chaussée en amont (186 mètres) et en aval (117 mètres) du lieu de la collision. Or, en visionnant les images de caméra de surveillance, l’on remarque qu’Adil Charrot passait entre lesdits casses-vitesse pour les franchir. Il se situait donc au milieu de la chaussée et était donc, selon la deuxième expertise, encore davantage visible pour un conducteur arrivant en sens inverse. Quatrième et point capital : « Lorsque le cyclomoteur d’Adil Charrot est arrivé à hauteur du véhicule du policier, ce dernier s’est déporté vers sa gauche, réalisant ainsi son objectif, à savoir faire barrage à la progression du deux-roues […] occasionnant une collision aux conséquences tragiques pour Adil Charrot ». Sur ce point encore, le deuxième expert insiste sur une nième omission : la première déclaration du policier qui a tué Adil (« On a essayé de faire barrage au niveau de l’école Erasme, il nous est rentré dedans ») ne se retrouve pas non plus dans la première expertise. Or, d’après l’expert, « Cette affirmation est (pourtant) particulièrement explicite et non équivoque, en ce sens qu’elle décrit une action et non pas une quelconque intention. […] » Cinquièmement, le second expert ajoute que « La présence d’une pastille de bridage dans le pot d’échappement démontre à elle seule l’impossibilité technique de dépasser les 45 km/h ». Ici, le deuxième expert indique que cette vitesse élevée (64 km/h) ne peut être objectivée. Et cela parce que le premier expert n’a procédé à aucune investigation technique du véhicule accidenté, ne le passant notamment pas sur des rouleaux. Ce qui est très important puisque le mobile de la course poursuite est justement la vitesse trop élevée.Ces premiers éléments du second rapport viennent une nouvelle fois fragiliser la version policière, prise pour argent comptant, sans analyses, ni contre-expertises, ni devoirs d’enquêtes complémentaires par le parquet dans sa mission de contre-insurrection préventive.Ceci montre une nouvelle fois, s’il fallait encore le démontrer, le rôle du parquet dans le blanchiment des crimes policiers. Plus que jamais, il nous faut agir de façon à soutenir les capacités d’interventions juridiques des familles.Le premier jugement rendu dans le cadre de l’affaire Ouassim et Sabrina condamne fermement et de façon extrêmement argumentée la technique du « barrage » (parechocage). Il nous faut continuer le pas gagné de façon à renforcer la jurisprudence qui pourra conduire à l’interdiction de la technique du parechocage et à la requalification des mises à mort par ce moyen en « homicide volontaire ». En plus du soutien politique aux familles dans leur combat judiciaire, nous devons ensemble construire une campagne d’interpellations citoyennes de l’ensemble des Conseils de Police des différentes zones de la capitale. »
La version de la Justice
Le 20 février 2024, la Chambre du conseil suit le Parquet et estime qu’il n’y a pas lieu de renvoyer devant le tribunal les policiers impliqués dans la course-poursuite mortelle. Surprise ?
Pour le Comité Zone Midi contre les Violences Policières, dont nous partageons l’analyse, il y avait pourtant largement de quoi aller devant la chambre des mises en accusation :
1 – La juge de la chambre du conseil considère le rapport déposé par la famille d’Adil comme s’il s’agissait d’un rapport technique réalisé 3 ans après les faits. Ce n’est pas du tout le cas, le second rapport insiste sur des éléments essentiels de l’instruction négligés par le premier rapport : éclairage, vitesse, première déposition de l’inspecteur Tassin, caméra, déport des l’Opel Corsa, etc. (Voir l’article de Blast). Il s’agit donc d’un avis sur l’avis qui ne peut être opposé en un choix binaire avec le rapport commandité par le juge d’instruction et qui doit pouvoir bénéficier d’une beaucoup plus importante prise en compte pour parvenir à établir une vérité judiciaire suffisamment robuste. Dans le jugement de le juge de la chambre du Conseil, cet aspect pourtant crucial a été complètement négligé.
2 – La juge effectue une lecture extrêmement idéologique de l’action de « faire barrage » qu’elle interprète comme un dispositif complexe que l’on installe en amont lorsque le véhicule est pris en chasse et bien identifié sur l’autoroute. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’un « parechocage », effectué en donnant un coup de volant à gauche, c’est ce geste qui « fait barrage » et qui tue Adil.
Même à vitesse réduite, une telle action est mortelle et à produit l’acte final de la mise à mort d’Adil. Le fait que par la suite, le policier ait avoué ce geste et s’en est vanté (« j’en ai sorti un de la rue ») indique la nature raciste du type de poursuite engagée ce soir là.
Ce non-lieu, poussé par le parquet avant même la fin de l’instruction, est un non-lieu d’impunité, un non-lieu de négligence qui laisse dans l’ombre les éléments les plus déterminants de cette affaire. Ni la famille d’Adil ni les activistes ne peuvent se satisfaire d’un tel jugement.
Le précédent du jugement rendu par le tribunal de police dans l’affaire Ouassim et Sabrina offre des éléments jurisprudentiels importants pour qualifier la négligence criminelle des policiers qui ont poursuivis et tué Adil ce soir là.
- 20.02.2024 – Non-lieu prononcé par la Chambre du conseil
- 15.01.2024 – 4ème interpellation du Conseil de police Zone-Midi
- 08.01.2024 – Audience Chambre du conseil
- 00.01.2024 – Suspension de l’inspecteur principal Tassin
- 18.12.2023 – Contre-expertise pointant la responsabilité de l’inspecteur Tassin
- 18.09.2023 – 3ème interpellation au Conseil de Police Zone Midi
- 30.08.2023 – 2ème interpellation au Conseil de Police Zone Midi
- 19.06.2023 – 1ère interpellation au Conseil de Police Zone Midi
- 16.05.2023 – Report de l’audience prévue près la chambre du Conseil au 5 septembre 2023
- 04.05.2023 – Audition d’une policière de la Zone de Police Midi par la juge d’instruction
- 00.02.2023 – Changement d’affectation de l’inspecteur principal Tassin à la police de la circulation, à la tête de jeunes recrues.
00.08.2021 – Promotion de l’inspecteur Tassin au grade d’inspecteur principal par le chef de zone Jurgen De Landsheer; affectation au GIG3 - 00.00.2020 – Poursuite des chefs d’homicide involontaire, discrimination, non-assistance à personne en danger et coalition de fonctionnaires
- 26.11.2020 – Non-lieu requis par le Parquet. Révélation par le Parquet d’éléments de l’enquête sous embargo du secret de l’instruction
- 14.04.2020 – Un juge d’instruction requis par le parquet de Bruxelles pour enquêter du chef d’homicide involontaire. Constitution de partie civile
- 10.04.2020 – Décès d’Adil.
- 2020.04.14_LAvenir_Le.Jeune.Adil.Meurt.A.Anderlecht.Un.Juge.D.Iinstruction.Pour.Enqueter.pdf
- 2020.04.14_LeVif_Mort.D.Adil.19.Ans.A.Anderlecht.Ce.Que.L.On.Sait.pdf
- 2020.04.14_rtbf.be_Il.S.Appelait.Adil.Il.Avait.19.Ans.pdf
- 2020.04.18_Bladi.net_Mort.D.Adil.A.Anderlecht.La.Version.Des.Policiers.pdf
- 2023.05.17_rtbf.be_Deces.D.Adil.A.Anderlecht.Le.Policier.Qui.A.Percute.Le.Jeune.Homme.Accuse.De.Racisme.Par.Plusieurs.Collegues.pdf
- 2023.05.18_Blast_Bruxelles.La.Police.Raciste.Tue.pdf
- 2023.06.19_CHARROT.Adil_Interpellation.Conseil.Police.Saint-Gilles..pdf
- 2023.12.18_Comite.Zone-midi.Contre.Les.Violences.Policieres.pdf
- 18.12.2023 – Meurtre d’Adil : la thèse d’un accident remise en cause par une seconde expertise automobile
- 2023.12.18_rtbf.be_Deces.Du.Jeune.Adil.A.Anderlecht.La.These.D.Un.Accident.Remise.En.Cause.Par.Une.Seconde.Expertise.Automobile.pdf
- 2023.12.18_Blast_Rapport.Exclusif.A.Bruxelles.Comme.A.Paris.La.Police.Tue.Et.La.Justice.Enterre.pdf
- 09.01.2024 – Meurtre d’Adil : le froid ou la lassitude ? Une quarantaine d’indigné.e.s devant le palais de justice
- 15.01.2024 – Meurtre d’Adil : 4ème interpellation du Conseil de police de la Zone Midi
- Avocat : Alexis Deswaef
- Collectifs :
- Cagnotte : BE65 5230 8110 3896 // communication : Justice pour Adil
- Dernière mise à jour : il y a 8 mois - Publié le