Le contexte de la violence dans les rues de Bruxelles dimanche 13 septembre 2020 est la grande manifestation de la Santé à l’appel du Collectif La santé en lutte. Ce rassemblement tant du personnel soignant que de collectifs et de groupes de soutien comptait donc une grande variété de personnes, jeunes, moins jeunes, enfants, bébés, valides, moins valides, habitués de manifestations ou non : 7000 personnes se sont rassemblées pour exprimer leurs revendications malgré les difficultés pour obtenir l’accord du bourgmestre de Bruxelles
« On a alors l’impression que la seule chose qui reste confinée, c’est la liberté d’expression. On peut être 10.000 à Walibi mais on ne peut manifester en respectant les distanciations physiques«
déplore Karim Brikci, organisateur, tandis que On a alors l’impression que la seule chose qui reste confinée, c’est la liberté d’expression. On peut être 10.000 à Walibi mais on ne peut manifester en respectant les distanciations physiques, » déplore Karim Brikci, organisateur. Daniel Van de Calck, « Monsieur Manifs » à Polbru, réfute toute mauvaise foi : « Ce n’est pas que nous ne voulions pas, mais on ne pouvait pas laisser les gens marcher au regard de l’arrêté ministériel en vigueur« . « Depuis le matin j’étais en dialogue permanent avec la police. Et tout d’un coup, on ne me prévient plus » dit encore Karim.
Malgré un déploiement policier impressionnant, casqué, bouclier et matraque au poing, la foule était restée calme, voire résignée devant l’interdiction de se déplacer. Soudain, lorsqu’une grande partie des manifestant.e.s s’apprêtaient à quitter les lieux, une escouade de policiers en tenue de combat, dirigés par un chef vociférant pour les faire avancer au galop déboule, provoquant outre l’effarement un vent de panique parmi les personnes sur leur chemin.
Plus haut, rue de la Régence et au Mont des Arts un nassage de personnes présentes sur les lieux se met en place sans sommation, sans raison apparente, un déploiement de force stérile de la part de la police. Il est à noter que suite à des danses effectuées de manière rapprochée des robocops en ligne, le tout sur fond de percussions, les gens envahissent graduellement l’espace et les policiers sont ordonnés de partir. Cette occupation policière s’est donc terminée, mais dans d’autres lieux, pas loin, la violence policière fait rage.
Un peu plus loin, moins vu, moins connu. Anna dit avoir été témoin, en face des Beaux-Arts, du contrôle d’identité de deux hommes puis du gazage à bout portant de l’un d’entre eux par le commissaire Vandersmissen1, chef du maintien de l’ordre ce jour-là. Plusieurs témoignages recouperont celui-ci et évoqueront le fait que l’interpellé était passif. C’est ce qu’assure un autre témoin, qui a essuyé ce jet de poivre avant d’être arrêté administrativement. « C’est la première fois que je me fais arrêter« , confie-t-il au Soir : alors qu’il cherchait simplement à rejoindre sa voiture, il dit être encore lourdement traumatisé par ce qu’il a subi. « Ça brûle très fort. Je tourne la tête puis me plie en deux mais je reste calme. Au bout d’un temps, quand je recommence à voir, la scène a complètement changé : il y a des policiers qui crient et s’agitent partout.«
Loïc raconte au Soir avoir quitté la manifestation une dizaine de minutes plus tôt pour prendre son vélo en haut du Mont des Arts et s’être retrouvé dans un « piège à rats« , avoir laissé son engin au sol pour s’approcher de la personne gazée et tenter de lui donner de quoi se rincer les yeux. « En revenant, je suis tombé sur un agent en civil qui plaquait quelqu’un au mur. Je lui ai demandé d’arrêter. L’agent s’est retourné vers moi, matraque à la main. J’ai essayé de partir et c’est le moment où je me suis fait plaquer au sol. » Le plaquage est arrosé d’une dose de spray irritant. Une partie de séquence, filmée par LN24, en témoigne. « Quelqu’un me met un genou sur les côtes et me crie de me mettre sur le ventre. J’ai crié plusieurs fois que je n’y arrivais pas, que j’avais du mal à respirer.«
Plusieurs témoins expliqueront au Soir avoir vu « une fille en robe » recevoir des coups : Kali, enseignante, explique avoir voulu rentrer tôt avec son compagnon Raphaël, pour préparer son cours du lendemain. Se dirigeant vers le petit Sablon, ils voient débouler plusieurs véhicules de police, passent un barrage qui prend forme devant eux, avant d’être pris en étau entre cette ligne et une seconde rangée de policiers un peu plus loin. Ils assistent alors à l’interpellation de Loïc. « On est choqué. On voit aussi d’autres gens en train d’attendre le tram se faire compresser dans un coin. Je demande de pouvoir passer. On me dit de parler à quelqu’un qui a du rouge sur son casque. Je vois ça comme une ouverture, je cherche cette personne, je ne la trouve pas, je redemande. Là, tout à coup, un bouclier me pousse et un policier en civil me tombe dessus, me dit de circuler. Je dis que ce n’est pas possible, que c’est fermé. Il me pousse à deux mains. »
Là, une équipe en civil surgit du cordon. Kali est « étranglée en l’air« , selon Raphaël. Puis elle est plaquée au sol par une clé d’étranglement, maintenue à terre genou sur le dos, (voir la vidéo LN24. Raphaël aussi est plaqué au sol après avoir tenté de s’approcher pour calmer le jeu. « Je me fais balayer d’un coup de pied dans le tibia.«
Kali, Raphaël et Loïc sont arrêtés judiciairement pour « rébellion«. Kali reçoit un arrêt de dix jours, Loïc de deux jours. Elle dit encore boiter, lui se plaint d’une douleur au thorax.
Pauline, kinésithérapeute interpellée devant le Jardin des Sculptures raconte au Soir : « Aujourd’hui, j’ai un hématome sur le bras et j’ai eu, pendant 3 ou 4 jours, de grosses douleurs au côté gauche. » Édouard, commercial pour une société pharmaceutique, dit avoir reçu un coup de matraque dans la cuisse, qui lui vaut un sérieux hématome, constaté par médecin. Peu habitué des manifestations, il est en état de choc.
Des mineurs sont eux aussi pris dans le filet. Isabelle, mère de Nils (arrêté administrativement avec deux amis), dit ne pas avoir été informée par la police de la détention provisoire de son enfant, mais par un SMS de celui-ci. « Il a été emmené au commissariat où il est resté trois heures. Il n’a signé aucun document, n’a reçu aucun PV, nous n’avons pas été prévenus. » Le Délégué général aux droits de l’enfant Bernard De Vos, mis au courant du témoignage, a réclamé par courrier des explications au bourgmestre de Bruxelles.
Voici deux témoignages dont nous avons connaissance parmi tant d’autres et quelques extraits révélateurs ci-après.
Un monsieur raconte :
« […] Je reprends ma marche qui n’aura été que de courte durée puisque moins d’une minute plus tard je me remets à courir lorsque je vois les policiers empêcher les gens des passer à la hauteur des Jardins. Je flippe, je me répète « je ne veux pas me faire arrêter à nouveau » et je tente de m’écarter le plus possible de ce climat.
J’arrive rue de la Régence où je vois le commissaire Vandersmissen.1 interpeller deux hommes et les gazer à proche distance.
L’un d’eux crie « Au secours ! » […] les gens présents sur mon trottoir prennent panique et certains courent vers les Jardins des Sculptures. Le commissaire bloque l’entrée et gaze tout le monde en ricanant et disant « Hop hop non non pas par-là ».2
Quelques secondes plus tard, je suis écrasé contre les barrières et les forces de l’ordre nous encercle et nous hurlent dessus […] Une jeune fille se fait empoigner, étrangler et mobiliser par trois à quatre policiers pendant que d’autres continuent à nous hurler dessus et nous obligeant à ne pas regarder « Retournez-vous ! Retournez-vous j’ai dit! » Une jeune fille pleure dû à la violence de l’atmosphère. »
Une dame raconte :
« Il fait beau pour cette manif. […] J’y vais avec mon fils d’un an, en porte-bébé. […] L’espace étant limité, les gens commencent à se disperser devant le Mont des Art, nous on fait une petite pause sur les marches pour le goûter de bébé.
D’un coup, des gens courent à côté de nous. « Attention, la police ». Ha bon ? Je range rapidement les affaires et on constate que la police commençait à nous encercler… Pourquoi ? Pourtant l’ambiance était tranquille, la manifestation autorisée, nous respections des règles de distance physique… On ne comprend pas. […]
On oublie le goûter, bébé un barrage nous empêche également de passer par là [rue de la Régence, NDLR]. Il ne reste que la rue de la régence. On ne comprend pas bien ces barrages qui bloquent la circulation, le passage des transports en commun, des piétons. rien n’indique des troubles dans ce quartier ? Tout le monde marche tranquillement.
Sur notre trottoir, on y croise le commissaire Vandersmissen1 Une personne lui demande pourquoi il arrête ces deux personnes. Il lui répond, en criant : « Je ne les arrête pas, je vérifie leur identité, d’ailleurs, je vais faire de même avec vous ». Il se met également à crier sur des gens du trottoir d’en face qui regardaient. […] Il a gazé, à quelques centimètres du visage2 une des deux personnes arrêtées. Devant mes yeux.
QUOI ?! Cette personne n’avait rien dit. Rien fait. Elle n’a même pas réagi au gaz. Il l’a fait en étant de côté, pas devant. Pour qu’on le voit bien ? Les protestations se sont fait entendre et je jure avoir vu un sourire de satisfaction sur son visage.
On s’éloigne, mais pas trop. On voit un mec et puis une femme se faire frapper. Pas « calmer ». Frapper. C’est autorisé, ça ? Une personne pleure devant cette violence.
Finalement je m’en vais. J’ai du mal à croire que c’est réel, pourtant ce n’est pas la première fois. En Belgique. Et ça m’hallucine. complètement. J’ai peur car c’est devenu banal. Ça ne peut pas devenir banal. C’est de la violence policière. »
Outre ces deux témoignages révélateurs l’équipe des Street-Medic Brussels donne également son rapport :
- 6 blessé.es graves hospitalisé.es
- une centaine de manifestant.es gazé.es dont une grenade lacrymo lancée,
- 35 arrestations sans motifs (32 administratives et 3 judiciaires)
- 1 plaie grave à la tête (matraque)
- 2 doigts fracturés
- des côtes cassées
- 2 personnes qui ont pris des coups de bottines renforcées dans les tibias
- des manifestants traumatisés par ces méthodes à l’américaine
Le collectif La Santé en Lutte revendique 7000 participants (4000 selon la police, qui communique sur des départs de manifestations sauvages. Le Soir révèlera le 24 septembre que le Bourgmestre de Bruxelles Philippe Close a, « après avoir vu les images, écarté le directeur des opérations [Pierre Vandersmissen, NLDR] le temps de l’enquête« . D’après Aurélien Berthier, rédacteur en chef du trimestriel Agir par la Culture, pris lui aussi dans le cordon, menotté et arrêté, une dizaine de personnes arrêtées à la Régence vont, comme lui, déposer plainte auprès du Comité P. Une interpellation citoyenne auprès de la Ville de Bruxelles est également sur les rails.
Nous rappelons que le droit de manifester est constitutionnel et même si le sujet dérange les gouvernant.e.s il est inacceptable qu’ils lancent leurs forces de l’ordre dans la foule se laissant aller à toute la violence dont elles sont coutumières.
Par ailleurs, si vous aussi vous avez été victime de cette brutalité cynique, ou témoin de violences envers des co-manifestants, TÉMOIGNEZ SUR NOTRE SITE !
- Parce qu’il faut que toutes les agressions illégitimes des flics soient répertoriées, décortiquées, analysées, et que l’on puisse démontrer la récurrence de ces pratiques abusives !
- Parce qu’il faut que les prochaines victimes puissent lire ces témoignages pour comprendre que ce qu’elles auront subi n’est pas une pratique isolée, qu’il ne s’agit pas de quelques « pommes pourries » chez les flics mais bien de la dérive d’un système malade !
- La Santé en lutte, leur FB
- Street Medic Brussels FB
- Le Soir
- Témoignages ObsPol