Cour d’appel de Mons . Jeudi 30 septembre et vendredi 1er octobre.
En première instance, le policier a été reconnu coupable « d’homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution » et a été condamné à un an de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Mons. Mais le policier n’accepte pas cette peine, il estime qu’il n’a pas commis de faute.
Les avocat.es de la partie civile (les parents) ont présenter leurs très intéressantes plaidoiries après la présentation des « faits » par l’Avocate générale. Celle-ci avait présenté les choses comme établies alors qu’en réalité un certain nombre d’éléments se sont déroulés différemment.
Au cours de la plaidoirie, la juge n’a pas trop apprécié le contexte « politique » qui a été présenté, ni le fait de dire que le procureur avait menti. Il eut fallu selon elle parler de « bruits« . Pourtant en connaissant le dossier c’est un fait ! Le policier semble être très loin de reconnaître ses fautes et reporte sur des événements extérieurs, comme le manque de communication radio par exemple, la décision qu’il a prise. C’est assez choquant !
Les avocat.es insistent sur le fait qu’acquitter un policier qui a tiré dans des conditions illégales et tué un enfant, reviendrait à cautionner ce genre de comportement pour les autres policiers.
Les parents trop épuisés par ces procès et de devoir chaque fois répéter les mêmes faits horribles, ont préféré ne rien dire.
L’avocate générale a entre autre estimé que la version donnée par le policier a toujours été stable au cours de l’enquête et qu’il n’aurait pas su qu’il y avait des migrants dans la camionnette ni une enfant. Cependant la défense des parties civile rétorquera qu’au début il a signifié savoir qu’il y avait une enfant à bord et qu’ensuite son discours s’est modifié.
L’avocate générale a par ailleurs réitéré estimer qu’il y avait d’autres moyens d’arrêter un véhicule, et qu’on ne sait jamais où aboutit la balle lorsque tirée sur un véhicule en mouvement.
Il n’y a donc pas de subsidiarité ni de proportionnalité pour ce tir qui visait à occasionner une crevaison lente.
Il n’est pas un spécialiste du tir, le risque d’une balle perdue était donc bien réel et donc un dommage était bien prévisible. D’autre part il est le seul à avoir utilisé son arme contrairement aux autres policiers. Le risque a été pris délibérément dans des circonstances précises, non imprévisibles, et la prévention reste établie.
Elle précise qu’il faut une sanction qui soit quand même significative vu le caractère « léger » du comportement du policier de sortir son arme, et ce d’autant plus que de par sa fonction il fallait montrer de la maîtrise et du self-control.
Pour elle la sanction d’un an est nécessaire et reste confirmée.
Le policier qui s’exprime ensuite confirme ses déclarations antérieures et dit n’avoir pas vu un enfant, et que s’il a dit l’inverse c’était suite à ce qu’il avait entendu ultérieurement. Il revient sur le manque de communication entre les policiers – il n’avait pas sa radio. À la question de savoir pourquoi il a chambré son arme, il explique qu’ils se trouvaient à proximité de la frontière. Il dit que son véhicule a dépassé la camionnette pour la ralentir et tirer alors que les trois autres véhicules de police étaient restés à l’arrière. Il précise qu’il a hésité, n’ayant jamais fait de tentative de tirer sur le flan d’un pneu avant. Il répond aussi que personne ne lui a demandé de le faire.
Finalement il informe qu’il est dépressif depuis et suit un traitement. Il travaille dans les bureaux car il n’est pas question de travailler sur le terrain. Il sollicite toujours son acquittement.
Les avocat.es des parties civiles précisent que le fait de faire appel du verdict oblige les parents à revivre les événements dramatiques de la nuit fatidique. Ils sont fatigués de toutes ces procédures dont ils ne comprennent d’ailleurs pas les raisons. Eux s’étaient décidés à ne pas faire appel, afin de ne plus devoir entendre toutes les accusations mensongères à leur égard.
L’avocate rappelle que lors de la reconstitution leurs dires ont été vérifiés, notamment en ce qui concerne la place de Mawda dans la camionnette, bien que d’un point de vue du droit, cela ne change rien.
Elle précise également que l’intervention de la voiture de police commence à 2:01 et que le tir a eu lieu à 2:02, soit deux minutes pendant lesquelles le policier a décidé de tirer. Pourtant il sait qu’il y a un enfant dans la camionnette car contrairement à ce qui a été dit précédemment, ses déclarations sont loin d’être constantes et il n’a pas fait de sommation, il a chambré et tiré tout de suite.
Elle rappelle que lors de l’arrêt du véhicule tout le monde sort par la porte latérale et non par une fenêtre arrière, tout le monde est alors maintenu à terre et braqué par les policiers. Pourtant ils s’agit de victimes, de parents, de familles avec enfants, de mineurs non accompagnés.
Les parents sont empêchés de monter dans l’ambulance qui emporte Mawda ensanglantée. Les déclarations policières indiquant :
- qu’il y avait eu une petite fille tombée par l’arrière,
- qu’aucun tir n’avait eu lieu ou entendu,
- que les déclarations du médecin légiste étaient qu’il n’y avait pas de blessure par balles
Sont autant de contrevérités données par les policiers. Personne n’a prévenu le Comité P qu’il y avait mort par balles.
Les parents enfermés séparément n’ont été libérés qu’à midi pour revoir le corps de leur enfant. Pour les policiers une cellule psychologique a été mise en place, pas pour les migrant.es ni les enfants, ils n’ont aucunement été informés de leurs droits de victimes.
Toute une série d’éléments sont particulièrement révélateurs de l’indifférence et de la violence à l’égard des victimes, notamment le fait que la maman ait du rester pendant 24 longues heures vêtue de son T-shirt tâché du sang de sa fille avant que des bénévoles ne s’occupent d’elle. Mais comment cela est-il possible ?
Malgré les dysfonctionnements graves dès le début, rien n’est fait pour enquêter. Les MENAs sont même invités à quitter le territoire !
À ce stade la juge interrompt et dit qu’il y a lieu de parler du policier et de recentrer le débat.
La demande des parents par la voix de leurs avocat.es est une qualification qui doit être revue étant donné que le tir est un geste volontaire, ils réclament donc la requalification des faits en « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner« .
La suite des plaidoiries se concentre sur l’illégalité du tir. Référence est faite à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme édictant que les états doivent protéger les individus par leurs agents.
La directive « Medusa » vise principalement à poursuivre les migrant.es et non les passeurs. Ici il n’y a eu aucune arrestation, comment cela se fait-il ? Dans la formation que les États prodiguent il ne doit pas être question que de technique, mais aussi du respect de la vie humaine. Ici il est évident qu’il y a eu méconnaissance de la loi, dont l’article 38 de la Loi sur la fonction de police qui précise les conditions nécessaires à l’utilisation de la force. Les agents ne sont pas formés sur la prééminence du droit à la vie qui doit prévaloir sur le risque de fuite, d’autant qu’ici il y a eu mort d’une enfant, ce qui est encore plus grave.
Le policier veut être considéré comme un simple citoyen, mais il est un policier, agent de l’État, qui a commis une faute en usant de son arme à feu lors de cette course-poursuite. L’usage de la force doit être appliqué en tenant compte d’une stricte proportionnalité. L’utilisation d’une arme à feu contre un véhicule tombe sous le coup des articles 37 et 38 de la Loi sur la fonction de police et le prévenu n’a pas respecté cette loi. Ici les conditions requises n’étaient pas réunies, donc en sortant son arme il y a eu mise en danger. Il ne s’est même pas informé auprès du dispatching. Aucune application de ce qui est prescrit dans le manuel d’utilisation des armes n’a été faite par le policier, qui, quoiqu’ayant été formé, a quand même agi.
L’État belge ne peut exonérer le policier.
Le troisième avocat des parents se penche sur la requalification des faits en fonction du code criminel qui offre cette possibilité. Il s’agit de coups et blessures sans intention de donner la mort. Lorsque le policier déclare qu’il a décidé de tirer et que « si javais su qu’il y a un enfant je n’aurais pas tiré » cela signifie qu’il a tiré intentionnellement. Il a placé son doigt sur la détente et a visé. On ne pointe jamais quelque chose que l’on n’a pas l’intention de tirer, ici il a dégainé, chambré, posé son doigt sur la détente. Il s’agit bien d’un acte choisi en prenant le risque. Selon la démonstration de l’avocat le déclenchement involontaire est exclu.
Il précise que si le policier était acquitté cela signifierait que les policiers peuvent tirer et n’auront pas de reproche en tant que policiers, perspective effrayante. Il cite aussi un rapport médical daté du 14 août 2021 qui précise que les parents se trouvent toujours dans une situation post-traumatique.
Il requiert, si pas de requalification à titre subsidiaire la confirmation du jugement.
Cour d’appel de Mons . Vendredi 1er octobre.
L’avocat du policier revient sur la conduite dangereuse du chauffeur de la camionnette. « Il s’agit d’arrêter un chauffeur fou. Tous les passagers lui demandent d’arrêter et lui, il accélère. Arrêter ce type de comportement, c’est légitime ». Il revient sur le contexte du tir et s’interroge : « Est-ce qu’on aurait eu ce débat s’il avait atteint le conducteur plutôt que Mawda ? Il [le policier] ne serait pas là aujourd’hui« . On peut ici être surpris d’une telle affirmation : la mort d’un conducteur de camionnette n’aurait-elle pas ému plus que cela et donné suite à une enquête ?
Il déclare aussi que si la Cour le condamne, elle l’enfoncera un peu plus dans la dépression. Au début de sa plaidoirie, l’avocat s’était adressé à la Cour en lui demandant de ne pas se laisser mettre sous pression, ici c’est pourtant exactement ce qu’il fait.
Il tente de démontrer que l’article 38 de la Loi sur la fonction de police ne s’applique pas puisqu’il est question de l’usage d’une arme contre quelqu’un, alors qu’ici il était question d’usage contre un pneu. Le policier n’aurait pas eu connaissance de la présence d’un enfant à bord; et qu’ici il n’était pas question de tirer avec une « Kalachnikov« … Tout au long de sa plaidoirie, force est de constater les répétitions, les incohérences, et les accusations ad hominem des avocat.es des parties civiles.
La poursuite porte sur le fait que personne n’a dit au policier de ne pas tirer, que ce n’est pas lui qui décidé, il évoque le manque de formation mais que le policier respecte celle ci qu’il a suivie il y a 8 ans, que la notion de « cas extrême » est difficile à évaluer.
Il demande en conséquence l’acquittement et à titre subsidiaire la suspension du prononcé.
Dans ses répliques l’Avocate générale revient sur certains points qu’elle avait évoqués, notamment la possibilité d’arrêter le véhicule de différentes manières, telles qu’un barrage ou une herse. Par ailleurs le fait que la frontière ait été proche n’est pas recevable puisqu’il existe un accord entre la France et la Belgique qui permet une poursuite au-delà des frontières, donc ici sur le territoire français.
Elle revient aussi sur la connaissance par le policier de la présence d’au moins un enfant à bord.
La Loi sur la fonction de police, si elle n’est pas claire pour le policier, c’est d’autant plus grave qu’il prend quand même le risque. La subsidiarité et la proportionnalité ne sont pas réunies.
Elle dénonce également les manquements de la procédure : notamment le fait que le médecin légiste ne se soit pas rendu auprès du corps de l’enfant, que le juge d’instruction ne se soit pas déplacé. Cependant pour elle sous-entendre qu’il y ait eu protection de la police, elle s’y oppose fermement.
Les parent n’ont pas souhaité s’exprimer, ayant déjà tout dit précédemment.
Le policier lui lit un texte qu’il a préparé : « Après le jugement c’était plus fort que moi, je ne pouvais pas accepter d’être le seul responsable de la mort de Mawda. » Il ajoute ne pouvoir jamais oublier cette tragédie et affirme : « J’avais 46 ans, j’étais responsable de ma petite famille. Je n’ai pas du tout l’étoffe d’un cow-boy. » À propos du tir : « J‘ai pensé que j’étais dans de bonne dispositions pour viser le pneu et tirer. Jamais on ne m’a dit de ne pas le faire. J’ai voulu bien faire. »
Ensuite s’adressant aux avocats des partes civiles : « Le combat que vous menez, l’aide aux migrants, est digne. Mais vous vous trompez de cible. Adressez-vous à l’État. C’est à lui que vous devez demander des comptes. » Finalement s’adressant aux parents de Mawda « Je réitère mes plus sincères regrets à la famille de Mawda« .
Les avocats des parents lisent un poème.
La cour d’appel de Mons rendra son arrêt le 29 octobre 2021.
- ObsPol