Il y a les histoires connues et largement médiatisées, et il y en a qui font moins de bruit mais s’alignent sur un fonctionnement récurent : disparition d’images qui pourraient être en faveur d’un inculpé de rébellion ou trouble à l’ordre public, demandes de non-lieu des parquets pour des policiers impliqués dans des violences, durées anormales d’une « enquête » impliquant une plainte contre des forces de l’ordre… Tous ces stratagèmes ne peuvent que jeter le discrédit sur un application des règles de justice qui se devraient d’être équitables.
Ainsi, le parquet de Bruxelles avait requis à l’encontre d’un jeune homme de 22 ans, un an d’emprisonnement pour rébellion.
Le jeune homme lui, avait accusé les policiers de violences et avait lui-même déposé plainte à leur encontre. En novembre 2020, dans le cadre d’un contrôle « Covid », les policiers auraient usé de violences lors de son arrestation. Toutefois ceux-ci contestent, indiquant que le jeune homme aurait refusé de se faire contrôler (non port de masque). La police a donc estimé devoir le priver de liberté et, pour ce faire, procéder à son arrestation appliquant son maintien et son étranglement.
Les blessures que présentait ce jeune homme ensuite seraient le résultat de sa chute lors du menottage. Son avocat pourtant indique que le plaignant aurait été saisi à la gorge par un policier ce qui lui aurait fait peur d’être violenté et l’aurait incité à se soustraire au contrôle. Les policiers l’auraient, à l’abri des regards, frappé au visage à plusieurs reprises, l’un d’entre eux aurait tenté de lui mettre un doigt dans l’œil. Relevons que ce type de récit est très fréquent, un traitement brutal appliqué pour une simple arrestation semble faire partie des pratiques les plus appréciées et appliquées.
Ces deux versions s’opposent totalement comme c’est souvent le cas, des images auraient peut-être pu indiquer avec plus de précision ce qui s’est réellement passé. Mais, ô surprise, les images des caméras de vidéosurveillance en rue n’ont jamais été extraites par la police, et ce malgré la demande de la défense.
L’effacement ayant lieu au bout de trente jours, elles n’ont pu être visionnées ! Ici rien de nouveau, rien de surprenant mais qui donne lieu à de sérieux doutes quant au récit des policiers. Eux qui réclament à cor et à cri le port de bodycams, s’accommodent pourtant régulièrement du fait que les images ne soient pas visionnées ou disparaissent à bon escient lorsqu’elles risquent de révéler des faits compromettants.
Dans le cas présent le résultat fut qu’il était impossible pour l’accusation comme pour la défense de vérifier les dires des uns et des autres. La chambre des comparutions immédiates de Bruxelles a, le 29 janvier 21, déclaré les poursuites irrecevables. [Source : La Capitale]
Il arrive aussi que des enquêtes interminables aboutissent à … un acquittement des policiers. Il en va de la sorte pour trois policiers de la zone BXL-Capitale-Ixelles qui sont suspectés d’avoir tabassé un homme au commissariat « Amigo« . Cela se passe en janvier 2013, M. NO victime de 51 ans, signale qu’il sort de ce commissariat le crâne fracturé, le nez cassé et les deux tympans percés après avoir été passé à tabac par trois policiers. Il avait été arrêté administrativement suite à une dispute dans un bar, il assure ne pas avoir été blessé en arrivant au commissariat.
Rappelons que l’on n’est pas censé sortir démoli.e d’un commissariat ou d’un poste de police ou de tout autre lieu de détention sous la surveillance d’agents de l’État. Selon la victime, les policiers avaient mis leurs gants et lui ont asséné plusieurs coups pour le « traiter comme en Irak« . Il porte des traces de pieds sur tout le corps et a été frappé aux parties génitales… tout un programme qui peut être qualifié de torture. Mais, une fois de plus, l’enquête a été bâclée. Donc faute de preuves … le procureur a requis l’acquittement non sans avoir précisé la possibilité que la victime eut pu chuter lors de sa détention administrative. Acquittement au bénéfice du doute après 80 mois d’enquête !
Parlant de sanctions à géométrie variable : lorsque ce ne sont pas des acquittements comme dans l’affaire ci-dessus ou des non-lieux requis par le parquet comme dans l’affaire d’Adil, ce sont des peines assez dissemblables qui sont prononcées par les tribunaux.
En ce mois de février 2021 comment ne pas évoquer « l’affaire Mawda« ! Ici aussi il semble que la géométrie variable ait opéré. Que dire du verdict prononcé le 12 février par le tribunal correctionnel de Mons ?
Le conducteur de la camionnette est condamné à 4 ans de prison ferme et le policier qui a tué Mawda avec son arme à feu à 1 an de prison avec sursis. Il n’est pas possible évidemment de dissocier l’ensemble de ce drame de la politique de répression menée à l’égard de personnes en migration. Sans des ordres de poursuivre coûte que coûte des personnes en route vers des destinations qu’elles espèrent meilleures que celles fuies, il est probable que cette course-poursuite par les policiers pour rattraper une camionnette qui transportait des êtres humains et le drame n’auraient pas eu lieu.
Mais il a eu lieu. Un policier a estimé qu’il était en droit de faire usage de son arme à feu contre une camionnette en mouvement dans laquelle se trouvaient, et il le savait, des êtres humains, enfants, femmes et hommes entassés.
Bien que le tribunal estime qu’ »il apparaît hasardeux de compter sur son habileté ou la chance pour viser le pneu alors que les véhicules roulaient à une vitesse appréciable« , c’est le principe même d’une police armée qui est en question. Le policier, un bouc émissaire comme cela a été évoqué ? Un bras armé de l’État pas assez formé ? Et qu’en est-il de tout l’appareil étatique à couvert ? Aucune analyse sur la possibilité même d’une telle violence. Viser avec un pistolet, c’est-à-dire, en avoir un à disposition, décider d’en faire usage, le sortir, l’armer et finalement appuyer en direction d’une cible mouvante, tout cela ne peut être considéré comme une norme acceptable.
Un tribunal qui plus est, estime que ce bras armé ne mérite qu’une peine avec sursis alors que le jeune chauffeur de la camionnette poursuivie est considéré comme ayant contribué à la mort de l’enfant et lui mérite 4 années d’emprisonnement ferme. Des questions se posent sur les raisonnements qui sous-tendent de telles décisions de justice.
Ceci amène à une observation de la banalisation de la violence exercée par les forces de l’ordre, les nombreux témoignages lors de récentes manifestations en témoignent tout comme un vocabulaire utilisé de plus en plus fréquemment ; celui de « violences illégitimes » des policiers ! Erreur, certains articles de loi évoquent le recours (loi fonction police, articles 37 et 38) à la force afin de poursuivre un objectif légitime qui ne peut être atteint autrement, il est alors question de force légitime, pas de violence.
Les discours politiques (Emmanuel Macron) et journalistiques se complaisent dans cette confusion allant même jusqu’à citer erronément des sociologues tels que Max Weber, économiste et sociologue allemand 1864-1920, ce que conteste notamment Catherine Colliot-Thélène, philosophe spécialiste de Max Weber qui déclare que “dire que « l’État a le monopole de la violence légitime” c’est dire une absurdité exactement… Il ne s’agit pas de reprocher au personnel politique, voire aux journalistes, de ne pas connaître cet arrière plan de la définition de Weber mais ce qui est irritant, c’est cette manière d’appeler une autorité scientifique, c’est un grand nom, pour dire une absurdité. »
Nous le constatons, la violence augmente et avec elle la répression et l’intimidation, sa banalisation et sa justification tentent de se faire une place dans l’argumentation des autorités.
- La Capitale
- Mediapart