9 janvier 2021, Bruxelles
23 ans. Mort après son passage au commissariat
La version de la police
Les circonstances exactes de sa mort ne sont pas encore connues, mais la police tient sa version : Ibrahima aurait fait un malaise à son arrivée au commissariat.
Selon le Parquet, la police aurait procédé au contrôle « d’un groupe de personnes rassemblées […] nonobstant les mesures actuellement en vigueur dans le cadre de la crise sanitaire », tandis que le jeune homme filmait l’intervention de police avec son smartphone. Quand des policiers auraient voulu le contrôler, il aurait pris la fuite, été rattrapé, privé de liberté et emmené au commissariat pour y être entendu.
Au commissariat « Brabant » à Saint-Josse, et relevant de l’autorité de la zone de police Bruxelles-Nord (Polbruno : Schaerbeek, Saint-Josse et Evere), il aurait perdu connaissance. Les policiers présents auraient fait appel aux services de secours. Une ambulance et un SMUR auraient été mobilisés sur place.
Ibrahima, emmené par les services de secours, est décédé à l’hôpital à 20:22. Sa famille ne sera informée que vers 02:30 du matin par des policiers venus à leur domicile, qui leur apprennent qu’Ibrahima avait été interpellé pendant le couvre-feu. « On nous a dit qu’il était mort dans l’ambulance des suites d’une deuxième crise cardiaque après sa réanimation au commissariat de police. On n’a pas pu voir le corps tant que l’autopsie n’a pas été pratiquée. On nous a juste dit qu’il présentait des hématomes dus à sa réanimation », dira sa sœur Aissatou.
Le parquet de Bruxelles a instauré un périmètre d’exclusion judiciaire et l’enquête a été transmise au Comité P, descendu sur place. Un médecin légiste a été désigné pour l’autopsie et la toxicologie. Le parquet a également demandé de saisir et d’analyser toutes les images de vidéo-surveillance, tant au commissariat que sur les lieux de l’interpellation.
Des sources policières, relayées par plusieurs médias, ont alors laissé entendre qu’Ibrahima aurait été sous l’emprise de drogues au moment de son arrestation. Cependant, l’autopsie réalisée par la suite a réfuté ces allégations
La version de la famille
Le rapport d’autopsie établi évoque une anomalie cardiaque. Mais cette malformation n’expliquerait pas, à elle seule, le décès. L’autopsie a aussi réfuté les allégations d’emprise de stupéfiants.
Le dossier a été mis à l’instruction pour homicide involontaire.
L’avocat de la famille, Alexis Deswaef indique :
« Il filmait une action de la police qui filmait les migrants à la gare du Nord. J’imagine que s’il filmait l’action de la police, c’est peut-être parce que ça ne se passait pas de manière très fluide. Filmer la police est un droit. Ce n’est pas un motif d’arrestation. […] Il fait un malaise et s’affale sur une chaise. Ce seraient les images qui le montreraient d’après nos informations. Il glisse de la chaise et tombe inconscient. Il est menotté, il a son masque et pendant de longues minutes, on parle de 5 à 7 minutes, il reste inconscient. Il gît au sol. Il y a deux policiers dans le local de fouille et il ne réagissent pas. C’est seulement au bout de ces longues minutes qu’un agent réagit en venant avec un défibrillateur. […] Quand on est arrêté, on est dans une situation de grande vulnérabilité. Les agents de police doivent vérifier que tout se passe bien. Là, il est menotté dans le dos, inconscient et meurt asphyxié. »
L’avocat dénonce « des mensonges » des forces de l’ordre sur plusieurs points.
Les policiers ont affirmé qu’Ibrahima avait été contrôlé dans le cadre d’un non-respect des règles liées au couvre-feu. Or, Ibrahima a été emmené au commissariat peu après 19:00, soit 3 heures avant le début du couvre-feu à Bruxelles. « Pourquoi les policiers mentent aux journalistes sur les causes du malaise si ce n’est pour couvrir leur propre faute, celle d’avoir laissé de 5 à 7 minutes, une personne en détresse, inconsciente, sans aucune aide ».
Selon le rapport médical, les coups et les blessures pourraient avoir joué rôle dans le décès du jeune homme, connu pour ses aptitudes sportives.
Un an et vingt jours après le décès de son frère, Aicha prend la parole (cf. la vidéo ci-dessous), entourée du comité de soutien, de ses proches ainsi que de plusieurs autres familles de victimes réunis pour réclamer la vérité et la justice sur les circonstances du décès d’Ibrahima. Tant que des responsabilités ne seront pas établies la famille ne pourra faire son deuil. Le temps judiciaire est long lorsqu’on a perdu un proche dans de telles circonstances et que sa dignité a été bafouée.
La version de la Justice
Le 26 juin 2024, le tribunal correctionnel décide que l’un des quatre prévenus s’est rendu coupable de coups et blessures en repoussant violemment Ibrahima alors qu’il était assis sur une chaise et qu’il commençait à piquer du nez.
Il a ensuite estimé que deux autres prévenus, qui ont pu voir que l’état de la victime se dégradait au fil des minutes, notamment parce qu’elle chancelait, glissait de sa chaise et fermait les yeux, sont coupables de ne pas lui avoir porté secours.
Le tribunal a écarté la prévention d’homicide involontaire, considérant que « les éléments du dossier ne permettent pas d’affirmer que le décès ne serait pas survenu si les policiers n’avaient pas commis de fautes ».
Le tribunal correctionnel a condamné le 26 juin 2024 deux des policiers pour avoir renoncé ou refusé de porter secours à Ibrahima à 7 mois de prison avec sursis, et un troisième pour coups et blessures à 1 mois avec sursis.
Le quatrième policier prévenu a quant à lui été acquitté de toutes les chefs d’inculpation.
Comme Bruxelles Dévie, nous ne pouvons qu’enrager devant le fait que :
- les proches d’Ibrahima aient du attendre plus de trois ans avant qu’un verdict ne soit rendu.
- Iels aient du connaitre des mensonges policiers et de l’opacité du système judiciaire.
- Comme dans la récente affaire de Sabrina et Ouassim, les policiers n’aient été condamnés qu’à des peines légères, qu’ils ne passeront pas derrière les barreaux puisqu’ils sont en sursis.
Ce jugement évite donc pour une fois le non-lieu, que les policiers reçoivent souvent dans les procès où ils sont impliqués, comme cela a été le cas cette année pour le procès concernant les décès d’Adil et de Mehdi. Pourtant, ces peines insignifiantes laissent percevoir le fonctionnement raciste et classiste du système judiciaire et des « forces de l’ordre ».
- 26.06.2024 – Condamnation par le tribunal correctionnel de Bruxelles de deux des policiers pour avoir renoncé ou refusé de porter secours à 7 mois de prison avec sursis, et d’un autre policier pour coups et blessures à 1 mois de prison avec sursis; acquittement du 4ème policier
- 12.01.2021 – Le Comité P révèle que le défibrillateur externe automatisé, que les policiers ont tenté d’utiliser pour le réanimer, n’a pas fonctionné
- 09.01.2021 – Décès d’Ibrahima
- 2024.06.26_BruxellesDevie_Deces.D.Ibrahima-Les.Policiers.Inculpes.S.En.Sortent.Avec.Des.Peines.Tres.Legeres.pdf
- 2024.05.10_BruxellesDevie_Affaire.Ibrahima.Barrie-Les.Policiers.Passent.En.Proces.Ce.Vendredi.10.mai.pdf
- 2024.06.26_SudInfo_Deces.D.Ibrahima.Barrie.Dans.Un.Commissariat.A.aint-Josse-LeVerdict.Pour.Les.Policiers.Est.Tombe.pdf
- 2024.05.10_BruxellesDevie_Affaire.Ibrahima.Barrie-Les.Policiers.Passent.En.Proces.Ce.Vendredi.10.mai.pdf
- 2021.01.10_LeSoir_Bruxelles.Un.Jeune.Homme.Decede.Apres.Son.Interpellation.Par.La.Police.pdf
- 2021.01.11_PresseLigueDefenseNoireAfricaine_VIOLENCE.POLICIERE.Belgique.Ibrahima.Un.Jeune.De.23.Ans.Est.Decede.A.L.Hopital.A.Bruxelles.pdf
- 2021.01.13_RevolutionPermanente_Belgique.Ibrahima.Barrie.23.Ans.Filme.La.Police.Et.Meurt.Apres.Son.Interpellation.pdf
- 2021.01.13_SudInfo_Revelations.Sur.Le.Deces.D.Ibrahima.23.ans.A.Bruxelles.Le.Defibrillateur.Utilise.Par.Les.Policiers.N.A.Pas.Fonctionne.pdf
- 2021.01.17_RTLInfo_Mort.D.Ibrahima.Dans.Un.Commissariat.Apres.Son.Interpellation.pdf
- Avocats : Alexis Deswaef
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- Dernière mise à jour : il y a 6 mois