Les policiers qui poursuivaient la voiture auraient demandé à ce que le véhicule s’arrête, ce que les jeunes ont fait s’arrêtant sur le côté de la voie de bus sur l’avenue Joliot Curie à Nanterre.
Après avoir reçu trois coups de crosse et avoir été menacé de mort (“Coupe le moteur ou je te shoote”, “Bouge pas ou je te mets une balle dans la tête”, “Shoote-le !”), Nahel s’effondre, lâche la pédale de frein de la voiture à la boîte de vitesse automatique, ce qui aurait fait avancer la voiture.
Le policier qui était au niveau du pare-brise tire, le pied de Nahel a alors enfoncé l’accélérateur. “Je l’ai vu agoniser, il tremblait. On a percuté une barrière. »
Les policiers ont immédiatement réalisé un faux P.V. et accusé Nahel de « délit de fuite », de « conduite dangereuse » et de « tentative d’homicide involontaire » de façon à mettre les policiers en situation de légitime défense et fabriquer les premiers éléments d’impunité. En prétendant que Nahel leur aurait foncé dessus, commettant ainsi une tentative imaginaire d’homicide contre les policiers, ce premier faux en écriture visait en réalité à transformer un homicide volontaire en une réaction de légitime défense tout en inversant l’ordre des responsabilités.
Sur cette base, le procureur de la République de Nanterre a, dans un premier temps, ouvert une instruction pour tentative d’homicide de policiers contre Nahel.
C’est alors qu’une première vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, une seconde vidéo puis le témoignage d’un des amis de Nahel présent à l’avant de la voiture sont venus faire dérailler la machine à produire l’impunité.
Des millions de personnes ont soudainement vu ce qui d’habitude est soustrait au regard.
Ce qui fait événement dans cette l’affaire et qui explique la circulation extrêmement rapide des affects, de l’identification et des actes de colères partout en France mais aussi en Belgique, ce n’est pas tant la vidéo en tant que telle qui ne constitue jamais sur le plan de la vérité judiciaire une preuve-en-soi mais bien ce que cette vidéo, par contraste, révèle des techniques de construction de l’impunité policière :
- faux P.V.,
- diffamations et calomnies des victimes dans la presse,
- coalition de fonctionnaires,
- reprise et traduction des faux P.V. par le Parquet,
- tentative de poursuites des victimes par ce dernier dès les premières heures, etc.
Ce qui fait les reprises et les traductions auxquelles nous assistons depuis, c’est le contraste de tout ce qu’on ne voit pas sur la vidéo et qui éclate pour une fois en pleine lumière grâce aux actes juridiques des avocats. Ce sont ces souvenirs qui d’habitude n’appartiennent qu’aux victimes des violences policières meurtrières racistes, à leurs proches et à leurs sœurs et frères de conditions qui sont ainsi, pour une fois, rendus perceptibles au grand jour par le plus grand nombre.
Combien d’autres Nahel dont le meurtre a été effacé par la machine à produire de l’impunité ?
En Belgique, depuis que le CD&V a re-pris en main le Ministère de l’Intérieur le 9 décembre 2018, entre 65 et 94 personnes (d’après un premier recensement non exhaustif et limité) avec ou sans-papiers sont mortes entre les mains de la police.
Les noms de Mawda, de Dieumerci Kanda, de Lamine Bangoura, de Ibrahima Barrie, de Mehdi Bouda, de Adil Charrot, de Ilyes Abbedou, de Mohamed Amine Berkane, de Akram, de Mounir, de Ouassim et de Sabrina, de Sourour Abouda, de Isaac Tshitenda, de Imed, etc. persistent aujourd’hui malgré les tentatives d’effacement grâce aux combats pour la justice menés par les familles de victimes des crimes policiers racistes.
Lorsque le premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) affirme que « la situation en Belgique n’a rien à voir avec la France », lorsque la ministre de l’intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) affirme qu’il n’y a pas lieu de faire un audit de la garde zonale à Bruxelles malgré le nombre de morts qui ont eu lieu dans ces cellules et les révélations faites dans la presse sur l’ambiance raciste qui y règne (Le Soir, Sente, 21/01/23), on comprend l’ampleur et la profondeur du déni qui pèse sur la question du racisme et des violences policières en Belgique.
Déni armé si on s’en tient à l’ampleur du dispositif policier répressif préventif déployé par Philippe Close (PS) depuis le jeudi 29 juin pour empêcher tout rassemblement au centre-ville. Or que ce soit sur le plan du nombre de personnes tuées par la police relativement à la population, sur le plan de l’impunité des crimes policiers racistes ou sur l’entretien d’un déni armé, la situation en Belgique est encore pire qu’elle ne l’est en France.
C’est la raison pour laquelle tout est fait pour éteindre préventivement un mouvement de masse comme nous l’avons connu le 7 juin 2020 où plusieurs dizaines de milliers de personnes, en grande majorité des jeunes, étaient venus se rassembler devant le Palais de justice à l’appel de Black Lives Matter pour exiger la fin de l’impunité pour les crimes policiers racistes. Moment de masse, inédit, historique et vite recouvert par la dynamique éducationnelle de la société civile d’État et l’encommissionnement des luttes décoloniales.
Récemment un rapport administratif signé par 18 policiers rapporte que le policier qui a tué Adil en le percutant mortellement lors d’une course poursuite Quai de l’Industrie à Anderlecht le 10 avril 2020 s’est vanté à de multiples reprises de ce meurtre (“J’en ai sorti un de la rue”) instruisant ainsi à la fois un aveu du crime et une incitation au meurtre raciste (RTBF, 17 mai 2023).
Le policier n’a jamais été sanctionné, au contraire il a été promu et n’est même pas inculpé, ce qui fait craindre un grand risque de non lieu…
Le fait est suffisamment rare pour être soulevé : ici ce n’est pas une vidéo ou un témoignage extérieur mais bien le témoignage de 18 policiers qui vient contredire la version du policier impliqué dans la mort de Adil, celle du Parquet et du Juge d’instruction. C’est donc l’entièreté de la section qui témoigne contre ce policier. La Zone midi donc également le collège de police dont font partie les bourgmestres de la zone est pourtant au courant de ces faits graves depuis l’été 2022 par des mails envoyés par plusieurs membres du GIG3.
Le bourgmestre d’Anderlecht a été contacté en personne en février par une inspectrice principale de la zone pour qu’il y ait une correctionnalisation des propos tenus par le policier qui a tué Adil mais aussi pour dénoncer le racisme inhérent dans la zone qui est couvert par le chef de corps, Jurgen De Landsheer, lui même (mail intitulé “harcèlement sur le lieu de travail / demande d’intervention”, publié par Fabrice Cumps lui-même sur son mur FB le 21 juin 2023).
La policière en question a encore subi des représailles depuis la publication dans la presse du rapport administratif (nouveau mail envoyé au bourgmestre le 22 mai 2023). Pourtant, aucune mesure de protection n’a été prise par rapport aux 18 policiers lanceurs d’alerte.
Pire : l’enquête interne menée sous la responsabilité du chef de corps qui est lui-même à l’origine des tentatives d’étouffer les faits et de harcèlement sert aujourd’hui de chasse aux sorcières.
En outre, cette démarche de démantèlement des effets d’alerte du rapport vise à entraver et à détruire de l’intérieur, par la terreur, une pièce d’instruction. À cause de cette grave négligence des pouvoirs publics et ici singulièrement des bourgmestres (Cumps, Spinette et El Hamindine) qui n’ont jamais répondu aux demandes d’intervention de la part des policiers qui dénoncent un racisme endémique au sein de la zone, ceux-ci n’osent plus parler durant les auditions, ce qui pourrait affaiblir la force probante du rapport lui-même.
On voit ici comment les enquêtes internes menées par la police constituent indéniablement des entraves à l’indépendance de la justice.
Non seulement il n’y à aucune “importation des événements” français, parce que c’est bien depuis cette endogénéité des violences policières racistes que les jeunes et moins jeunes tentent de réagir depuis plusieurs jours, mais les prises de position du syndicat de la magistrature française ainsi que les actes juridiques pro-actifs des avocats de la famille de Nahel apportent un véritable cahier des charges pour attaquer l’impunité des crimes policiers racistes.
1 – La machine d’écriture policière à fabriquer l’impunité s’amorce immédiatement après les mises à mort par de faux P.V. qui auront force d’instruction et qui doivent être considérés comme des “faux en écriture publique”.
Les avocats peuvent et doivent agir de façon proactive par l’intermédiaire de plaintes tactiques, de façon à mordre sur la machine à produire l’impunité pendant qu’elle se fait plutôt que d’attendre dans une sorte de détachement kantien le grand moment pédagogique de la plaidoirie.
2 – Il faut rendre le dépaysement avec dessaisissement immédiat des parquets obligatoire de façon à briser le lien d’inter-dépendance parquet-police qui constitue un des maillages centraux de la fabrique de l’impunité.
Il faut également empêcher, par ce dépaysement automatique, que les polices locales, dont la culture de corps raciste est constitutive de l’omerta et du blanchiment, soient en charge d’éléments d’enquête dans le cas de crimes policiers, comme c’est actuellement le cas dans l’affaire du policier qui a tué Adil (ce flic a avoué ce crime et s’en est vanté).
En effet, les enquêtes internes servent à empêcher la correctionnalisation des faits de racisme à l’intérieur de la police. Pour le cas des éléments en cours relatif au policier qui a tué Adil, nous demandons que Jurgen De Landsheer soit écarté et que l’anonymat et la protection pour les lanceurs d’alerte soit garanti.
3 – Il faut construire l’externalisation des enquêtes sur la police via un organe réellement indépendant, non politisé et en mesure de correctionnaliser les délits instruits dans le cadre de ces enquêtes
Une politique communale pro-active visant à prendre appui sur les éléments d’instruction pénaux dans le cadre des enquêtes disciplinaires internes, comme commence à le faire la commune de Molenbeek, doit être généralisée et renforcée.
4 – Il faut encadrer beaucoup plus strictement l’usage des armes à feu lors des contrôles routiers et des courses poursuites
Qui sont aujourd’hui intégralement soumises à l’unique appréciation et à l’interprétation a posteriori des policiers.
Le “sentiment de se sentir agressé” (article 38 de la loi sur la fonction de police, articles 416 et 417 du Code pénal) laisse une marge d’interprétation tellement large qu’elle peut se constituer en permis de tuer.
5 – Il faut changer la politique de poursuite des crimes racistes en faisant du racisme un mobile en soi
À l’instar du féminicide, et pas juste une simple circonstance aggravante évaluée selon le principe de l’intentionnalité.
Cela nécessite une refonte en profondeur de la loi Moureau que contourne aujourd’hui avec une facilité glaçante les groupes suprématistes.
6 – Il faut faire démissionner de la fonction publique tous les policiers racistes et/ou apparentés à l’extrême droite
Le racisme est un délit grave qui doit être pénalement poursuivi d’autant plus activement pour les policiers qui, au nom de L’État, peuvent faire usage d’une arme à feu.
7 – Il faut organiser un contrôle démocratique de la police via une politisation des conseils de police par l’intervention et l’implication active des citoyens.
8 – Il faut mettre en place une commission d’enquête parlementaire instruite par des recherches universitaires et activistes sur les crimes policiers racistes ayant eu lieu en Belgique ces dernières décennies
Mais aussi par l’expertise des policiers qui ont tenté de dénoncer le racisme et le sexisme interne de façon à instruire une politique anti-raciste pragmatique et informée des cas de crimes racistes étouffés et blanchis souvent transformés en “accidents”…